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« Comment les médias peuvent-ils améliorer la société ? » 1605 propositions qui donnent à réfléchir. Un pas de côté, par @jmcharon

« Comment les médias peuvent-ils améliorer la société ? » 1605 propositions qui donnent à réfléchir. Un pas de côté, par @jmcharon

Un pas de côté. Ils sont plus d’une centaine de milliers à avoir pris le temps de réfléchir et s’exprimer à propos de l’information, des médias et de leur influence sur notre vie en société. C’était à l’invitation de Reporters d’espoirs et de Make org, qui se définit comme « plateforme citoyenne… dont la mission est d’engager les citoyens dans la transformation positive de la société ».

Mieux traiter l’information pour améliorer la société ?

La méthode d’enquête est interactive. Elle permet aux individus de réagir et de suggérer les évolutions dans le traitement de l’information pour « améliorer la société ».


Lire l’intégralité du rapport.

 

C’est peu dire que les messages qui sont délivrés sont intéressants pour les rédactions et leurs dirigeants. Il s’agit d’abord d’un pas de côté, voire d’un contrepied vis à vis de l’information de flux, de l’instantanéité (« arrêter cette diffusion immédiate et répétitive des informations… », sources d’infobésité et d’infox. Ce pas de côté rencontre l’idée « d’information à valeur ajoutée », qui est par ailleurs au cœur de la nouvelle édition de « Rédactions en invention » chez Uppr, 2019 [par l’auteur de ce billet ndlr]. Ce pas de côté combine en effet, deux notions posées comme totalement complémentaires : le « slow » – la lenteur, la durée, le suivi, l’approfondissement, la hiérarchisation, etc.- et les « solutions » – forme d’accompagnement des personnes dans une période où plus que jamais les médias sont ressource du quotidien.
Dans cette discussion, avec et entre les personnes, qui ont participé à cette enquête, la lenteur et l’apport de solutions se combinent logiquement avec la vérification et la fourniture de clés de compréhension – le fact checking (« que les médias…multiplient à notre intention les « vrais/faux »), ainsi que la nécessaire expertise, la pédagogie qui intègre l’éducation aux médias (« éduquer dès l’école au décryptage et à la vérification des informations »), comme la transparence, le « making of ».

Il est intéressant que dans cette réflexion, les solutions ne soient pas considérées comme contradictoires avec l’investigation, au contraire. Le rôle de contrepouvoir de l’information en démocratie, est bien identifié et valorisé. Avec le nécessaire arbitrage, entre l’intérêt général et le sensationnel ou l’acharnement contre les personnes, sujet sur lequel Jacques Derogy concluait déjà « Investigation passion » (Fayard, 1993), en parlant du « syndrome du chasseur ». Il y a peu d’appétence en revanche, voire un rejet de la notion de label, du recours à une instance de « sages », en même temps que l’interrogation pointe à propos de la combinaison possible entre aides de l’Etat et l’indépendance.

La bonne nouvelle, c’est que ces attentes et préconisations convergent assez bien avec des créations de titres ou de sites d’informations de ces dernières années, des mook (à la suite XXI, 6 mois, Zadig, etc.) à Médiapart ou Médiacités, en passant par de nouveaux périodiques comme Le 1 ou Society. Elles confortent aussi toute une série d’intuitions et réalisations au sein des rédactions à commencer par Checknews de Libération, des « Décodeurs » du Monde, mais aussi la formule de « Solutions » développée par Nice Matin, en passant par le « making of » de l’AFP, etc. Elles valident aussi, ces démarches dans lesquelles les rédactions mutualisent leurs moyens pour enquêter, analyser, expertiser, à l’échelle internationale, à l’image de l’ICIJ – International Consortium of Investigative Journalists).

Cette mutualisation existe également à l’échelle locale, avec le « Journocamp data locale » qui associe plusieurs dizaines de quotidiens départementaux et régionaux, à l’initiative de Centre France – La Montagne.

Le niveau d’étude, la composition sociale, l’âge des personnes qui se sont exprimées ne sont pas forcément représentatifs de l’ensemble de la population française. La méthodologie retenue ne facilite d’ailleurs pas l’identification de ces données. Nous savons bien qu’un sujet compliqué s’impose à tous qui est cette polarisation, qu’identifiait déjà la dernière édition des « pratiques culturelles des Français » (Olivier Donnat, La Découverte, 2009), entre d’un côté les plus éduqués, engagés professionnellement socialement qui cumulent et tirent le meilleur parti de l’offre d’information abondante et diversifiées et les moins éduqués, qui s’informent essentiellement par les télévisions généralistes et les réseaux sociaux.

Les résultats de l’enquête – consultation, indiquent en revanche la voie dans laquelle des rédactions et équipes de journalistes se sont déjà engagées, avec beaucoup d’effort, d’énergie et des succès prometteurs. Il faut désormais l’élargir ce qui demande des moyens, des compétences, de la créativité, une envie d’innovation. Cela exige aussi des moments et des lieux de réflexion, d’échanges. C’est bien l’un de ces rendez-vous – moments que Reporters d’espoirs, Make org et les médias partenaires (La Croix, La Voix du Nord, L’Obs, L’Express, France info), nous offrent avec cette « consultation citoyenne ».

Jean-Marie Charon
Sociologue à l’EHESS, spécialiste des médias, vient de publier la 2ème édition de son essai « Rédactions en invention », chez UPPR.

View Comment (1)
  • Je ne sais pas si les résultats de cette consultation sont surprenants.
    La problématique de l’industrie médiatique c’est de rencontrer l’usager de l’information dans le cadre d’une relation tarifée.
    1) pour quelle information l’usager passe-t-il à la caisse (et pas juste « souhaite-t-il passer à la caisse ») ?
    2) quelle information l’usager consomme-t-il gratuitement ?
    Les gens peuvent bien déclaré ce qu’ils veulent, ils cliquent sur « l’OM-la crise : il a mangé une pizza après une défaite défaite » ou « islam radical : un enfant refuse de manger du porc » ou « top 10 des chatons : le 7è va vous surprendre »… etc. etc. A partir de là il est tentant pour une entreprise qui doit monétiser son activité de produire ce qui rapporte, et du coup faut-il se préoccuper de cette industrie plus particulièrement qu’une autre ?

    D’autre part les réponses me semblent tout de même difficile à interpréter. Par exemple « Préserver l’indépendance des médias du pouvoir politique », ça veut dire quoi : que le pouvoir politique doit travailler à ne pas travailler à y travailler ? A partir du moment où le pouvoir politique est impliqué, c’est mort. Comme à partir du moment où il ne l’est pas, c’est mort aussi… la question contient son propre non-sens. Pour laisser les médias indépendants du pouvoir politique, la seule possibilité c’est le désengagement total et l’interdiction pour les propriétaires de ces entreprises de travailler structurellement avec l’état (infrastructure, armement…). C’est très mal parti.
    Pareil pour « apprendre aux citoyens à mieux s’informer » qui implique le croisement de l’information, c’est à dire de dire aux consommateurs d’aller voir des concurrents… c’est très bien dans un modèle économique de service non captif, mais dans ce cas là il faut arrêter de supporter des entreprises qui ont un modèle industriel de captation du consommateur en client.
    Enfin la lutte contre les fake news, alors que c’est l »industrie qui les fabriquent (sans caisse de résonance, sans logique de diffusion massive, il n’y a que de la diffusion de niche : le problème de la fake news c’est la masse), c’est illusoire. De la même façon que diminuer l’éditorialisation tout en voulant du journalisme de solution ou de l’investigation (qui nécessite d’investir sur un sujet choisi sur lequel investiguer), et être pédagogue sur des flux indifférenciés, c’est impossibles.

    Les9 idées plébiscitées proposées ici me semblent ne pouvoir servir qu’à produire des discours permettant une légitimité morale abstraite, sans aucun lien avec l’économie d’une industrie qui est tiraillée entre un marché horizontal et démocratisé de la production et circulation de l’information, et la conservation d’un avantage économique permis par l’action du régulateur (on l’a encore vu avec Google Actualité dernièrement).

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