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Le Spring Street Project du LA Times, ou comment la presse américaine veut rester compétitive

Le Spring Street Project du LA Times, ou comment la presse américaine veut rester compétitive

Le Los Angeles Times a fait une enquête interne sur les défauts du site web du journal. Un manque de gens, l'absence d'une version mobile, pas de SEO, et une recherche pauvre font partie des griefs de l'étude rendue publique ici puis .

On y apprend que le site web du quotidien américain emploie 18 personnes, dont deux développeurs, bien entendu débordés.
Exemple parmi d'autres : les lecteurs qui recoivent par email la newsletter quotidienne “Top of the Times” sur leur Blackberry et cliquent sur le lien vers un article ont le message d'erreur : “File Not Found.”

Les griefs contre la version actuelle de leur site se terminent par la phrase :

"To put it bluntly: As a news organization, we are not web-savvy."

Le constat est clair : la rédaction web est bien trop séparée de la rédaction papier, de la "newsroom".

The newsroom tends to view the website as a place to hang and dress up its print work; the web staff is frustrated by an inability to receive timely and web-appropriate content.

Une observation que l'on pourrait appliquer à la majorité des salles de rédaction en France.

Los Angeles Times

Quels sont les chantiers en cours pour remédier la situation "préoccupante" décrite dans le rapport? :

– la mise en place d'une nouvelle partie du site appelée mylatimes.com qui va permettre aux utilisateurs de personnaliser les infos qu'ils reçoivent par email.
– l'utilisation intensive de la vidéo, avec un partenariat avec une chaîne de télévision locale.

– le développement de la partie "Your Scene" du site web, qui permet de poster ses propres photos, un mini Flickr qui permet de parler d'illustrer sa ville, ses propres infos, sa maison, son animal, ses sports favoris, ses voyages, ses sorties et sa famille.

– remédier à la trop longue chaîne de décision entre l'équipe technique web et la direction (Tribune Interactive), et à la lenteur de développement de nouvelles fonctionnalités.

– après une longue lutte, le latimes.com a reçu l'accord pour l'embauche d'un consultant à San Francisco pour construire un site de sorties à très forte interactivité : il faut que cela devienne une priorité pour le journal.

– la partie voyages du site devra être intégrée avec la partie issue de la section voyages du journal papier et deviendra la première partie du site a faire de la vente en ligne.

– clarifier la situation du journal vis à vis du "Gen3 Project" qui vise à passer sous la même plateforme tous les sites internet du groupe. Un saut technologique, mais qui serait aussi vécu comme un carcan.

Les membres du Spring Street Project font ensuite une revue des innovations et des initatives au niveau de la presse américaine, et de la presse en ligne en général : sms d'alertes actualités pour l'un, webcams et informations poussées sur la circulation pour l'autre, abandon total du papier et création d'une plateforme communautaire avec échange entre journalistes et public pour un troisième, remplissage de bases de données par les internautes (User Generated Content) pour un quatrième, qui une fois ces infos dans leur base, les remettent en forme pour sortir un supplément papier joint au journal.


Le Washington Post est le premier exemple qui vient ensuite illustrer un bon nombre de bonnes idées. C'est un titre où le web contribue aux revenus du journal à hauteur de 15% aujourd'hui, avec des prévisions qui amèneraient ce chiffre à 50%, tandis que le Los Angeles Times fait 5 à 6%.
Le site internet emploie, dans une rédaction séparée, une équipe de 200 personnes, avec leur propre rédaction (masse critique?).
L'innovation est apprécié davantage que la tradition, et la rapidité est une mission centrale.
Les rédacteurs sont formés à la vidéo, et le journal est habitué à faire une couverture hyper-locale.
Le journal s'érige comme une référence nationale politique, et pour se faire a mis sur pied des bases de données uniques : l'une permet aux lecteurs de trier chaque vote du congrès par membre, parti et même signe zodiacal.
Au centre des bureaux des sites internet se trouve le News Hub, un minuscule bureau, mais ouvert 24h/24 et 7j/7, 365 j/an.
Le site web du journal permet de commenter tous les articles, pendant que deux éditeurs, des logiciels et des lecteurs modèrent toutes ces réactions.
Ce flux ininterrompu de nouvelles fraîches est cité par beaucoup de bloggers qui sont cités dans une liste sur chaque article.
Cette boîte de liens rapporte à ce moment là des visites au blog qui rapporte à nouveau du trafic au
Washington Post : un tiers du trafic provient des blogs.



Le New York Times a pris lui un virage différent.
– Il a intégré rédactions print et web.
– C'est le site web de journal le plus visité dans le monde avec 13 millions de visiteurs uniques et 476 millions de pages vues en Octobre.
– Il y a un correspondant du site web dans chaque service, qui souvent est un jeune, rompu aux nouvelles technologies, et qui permet une symbiose entre la tradition des journalistes et la technologie. Il y a 14 personnes qui font ce travail et qui rafraîchissent constamment le site.
– Leur "Continuous News Desk" poste entre 30 et 40 articles en moyenne chaque jour "ordinaire", de 50 à 60 quand l'actualité s'y prête.
– En tout et pour tout, le site emploie 50 personnes, et a vu ses revenus augmenter de 30% depuis 2002.
– Contrairement à beaucoup de sites, qui dépendent des annonces classées, elles-mêmes gérées par des structures différentes ou des agences, le NYT gagne 60% de ses revenus grâce à ces publicités affichées : le site web générerait entre 7 et 8% des revenus du journal, alors qu'au Post, près de 80% des revenus générés par le web (47 millions de $) viennent de sites partenaires mais séparés d'annonces comme CareerBuilder.

Les auteurs du Spring Street Project s'estiment très bien informés, et annoncent que les journaux n'auraient pas plus que 2 à 3 ans pour revoir leur stratégie que le net s'ils veulent rester compétitifs. Après l'étude des modèles du genre Washington Post et New York Times, le rapport donne des recommandations de la dernière chance :
1) L'éditeur et le directeur de la publication du Los Angeles Times doivent publiquement déclarer leur prise de contrôle du site internet du journal, se rendre publiquement responsables de son succès et de sa croissance. Ils doivent montrer que la qualité et la réputation du site sont toutes aussi importantes à leurs yeux que pour le journal papier.

2) L'éditeur du Times doit donner le départ d'une trop longtemps attendue intégration de la rédaction et du site internet.

3) Le site doit de façon urgente étendre ses capacités éditoriales, techniques, de production vidéo entre autres : il faut embaucher, tout en maintenant l'effectif actuel de la rédaction.
Dès que possible, il faudra nommer des responsables de la rédaction qui commenceront à travailler sur la réforme du site internet : des journalistes performants qui ont une aptitude et un intérêt vis à vis du journalisme sur le web.

4) Pour faciliter ces changements, tous les journalistes recevront le plus rapidement possible des formations rapides sur le journalisme web, ainsi que des infos sur ce qui marche ou ne marche pas sur le web, et pourquoi le site internet est capital dans la survie du journal.

5) Le Los Angeles Times devrait développer immédiatement au moins un projet pilote d'infos hyper-locales au sein du site latimes.com. Selon les résultats obtenus, le modèle serait répété le plus rapidement possible.

6) Pour assurer la vitalité sans cesse renouvelée du papier et du web, l'éditeur du Times devrait embaucher un assistant spécial dédié à l'innovation. Cette personne dirigerait, au sein du journal, un bureau pour développer de nouveaux produits pour le site et pour le journal, promouvoir des expérimentations, et anticiper les nouvelles technologies et les habitudes des consommateurs, et guider le Los Angeles Times dans son adaptation à celles-ci.
le rapport finit ainsi :

We can become an essential online resource for Southern Californians, providing news, commentary, video, audio and more: the ability to search for information, plan their lives, and interact with each other and with us.
This is within our grasp — if we act.

Alors, en France, avec moins d'argent, quels sont les véritables changements que les quotidiens français sont prêts à mettre en place pour leur site internet?

View Comments (5)
  • Merci Gilles pour ce très bon résumé. Pour ce qui est du groupe WP, il est important de préciser que 40% de son chiffre d’affaires provient du pôle Education (Kaplan), 27% du journal, 23% des ses activités TV et 10% du pôle magazine.Donc quand on parle de 15% venant du net, il s’agit de 15% de 27% — donc 4% du total. Pour info, le journal a vu sa diffusion reculer de 12% en 10 ans.

  • Bravo pour cette présentation très intéressante. J'ai l'impression que c'est un virage très presse locale, hyper locale même, avec un accent mis sur la fidélisation des lecteurs avec des informations très locales . Un changement de culture d'ampleur. Le LA Times se rêve un journal d'élite intellectuelle et politique comme le NYT ou le WP.
    Je suivrai avec intérêt leur possible expérimentation web2print du type yourhub.com ou buffalotoday. Ce dernier journal, pourtant hyper local, a été invité à Davos ! De quoi appâter l’élite californienne peut-être ? :)

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