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Une médiation pour que « Libération » ait un avenir !

Une médiation pour que « Libération » ait un avenir !

L’avenir de Libération n’est certainement pas d’être un « Flore du XXIème siècle ». Quant aux projections, plus qu’hypothétiques, sur la marque Libération, elles n’ont de sens qu’avec un média Libération fort et attractif. Or l’avenir de ce média attractif est plus que jamais dans son projet éditorial. Qu’il faille trouver de nouvelles ressources est une évidence, mais ce ne sauraient elles qui soient le cœur du projet. En même temps chacun doit être conscient que l’heure n’est pas à la nostalgie du Libé de Serge July, ni des journaux d’hier qui n’existeront plus jamais. Le chantier est donc bien celui-ci : penser sur quoi doit reposer le nouveau projet éditorial pluri-média de Libération ? Quels sont les moyens qui sont nécessaires pour le mettre en œuvre ? Quelle est la méthode pour y parvenir ? Qui seront les composantes de celui-ci ? Et c’est bien sur un tel programme que doit s’envisager une médiation. Le temps manque. Il est déjà tard et il n’est pas supportable pour le journal et ses lecteurs que s’éternise un bras de fer entre les journalistes et les propriétaires. Il faut donc d’urgence une médiation dont l’initiative peut tout à fait revenir à la ministre de la communication. Une médiation plutôt qu’une aide financière, cette dernière se révélant de toutes façons insuffisante sans un projet totalement repensé.

Gilles BRUNO et jean-Marie CHARON
Gilles BRUNO et jean-Marie CHARON

La ligne éditoriale, c’est à la rédaction de la définir et de la faire vivre au jour le jour. Quant aux manières de décliner celle-ci sur les différents supports c’est là que se situe précisément le tournant que doit prendre au plus vite Libération. Le temps n’est plus à s’interroger sur la manière de décliner le « bimédia » annoncé par Serge July dans les années 2000. L’urgence est à engager un mouvement dans lequel le pivot du travail rédactionnel se déplace, soit désormais sur les différents supports numériques. Le « digital one » pour reprendre l’expression anglo-saxonne. Sur la palette des différents supports numériques (ordinateur, Smartphone, tablettes) se combine : le très chaud, le fil de l’actualité, ainsi que le traitement multimédia des principaux événements et sujets, enfin le participatif, des commentaires aux réseaux sociaux en passant par les blogs, les espaces éditoriaux ouverts aux internautes (experts, acteurs, témoins, etc.). Sur l’imprimé, quotidien, périodiques de différentes natures, il s’agit de choisir les sujets qui méritent les développements les plus adaptés à ce support qu’il s’agisse de fond (analyses, dossiers, reportages, décryptages, etc.) et de forme. Un imprimé à réinventer en fait. Un imprimé auquel est attaché une partie du public de Libération et continuera par un tout temps à fournir le principal des ressources.

C’est peu dire que les implications en terme d’organisation, de fonctionnement, de nouveaux profils de journalistes et non journalistes (développeurs, designer, statisticiens, etc.) sont lourds. Ils appellent un effort important de formation, d’accueil de nouveaux collaborateurs. Ils exigent d’intégrer la notion d’innovation en continu et d’expérimentation. Dans ce défi de créations journalistes, développeurs, designer, statisticiens doivent apprendre à coopérer, définir de nouvelles formes de conception et de production totalement inédites. Ce que font déjà des journaux comme le Guardian, le New York Times, etc. mais il n’y a pas de modèle, à proprement parler. Seulement des hypothèses, des pistes à observer, analyser, sur lesquelles s’inspirer. Tout le monde cherche. Il faut essayer beaucoup de choses, prendre le risque d’en rater un certain nombre pour identifier les solutions porteuses. Ce que font et ont l’habitude de faire les nouveaux concurrents de la presse, ces « infomédiaires » issus de l’informatique et des télécommunications, comme le rappelait Laurent Gille en conclusion de la dernière Conférence Nationale des Métiers du Journalisme.

Il ne faut pas mentir si le pari est formidable, passionnant, il exige aussi beaucoup d’efforts, sans doute une certaine dose de souffrances et des moyens. Ce projet ne pourra se faire avec les seuls moyens actuels, ni avec le seul actionnariat actuel, qui dit ne plus vouloir réinvestir dans le titre. D’où la nécessité d’une médiation pour faire germer, construire, mettre en forme le projet, identifier les besoins, attirer de nouveaux investisseurs, convaincus par l’intérêt d’un tel défi. Pas d’investisseurs, donc de moyens sans un véritable projet en phase avec la presse du XXIème siècle. Pas de projet viable sans de véritables investisseurs, compétents, entreprenants et professionnels du secteur des moyens de communication contemporains.

Bien sûr il faudra assurer la transition, identifier des ressources complémentaires, certainement obtenir de l’Etat un soutien exceptionnel. Mais rien de cela ne servirait à rien sans le projet éditorial radicalement rénové, appuyé sur l’adhésion de la rédaction, des autres catégories de personnels, des investisseurs. Tel est le mandat de la médiation dont Libération a un besoin immédiat et que l’Etat peut et doit susciter d’urgence.

Gilles BRUNO @gillesbruno et Jean-Marie CHARON @jmcharon

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View Comments (24)
  • Bravo d’être constructif! L’enjeu du pluralisme est ici de taille et il ne faut donc pas perdre espoir, mais la tâche est très rude. Le retard de mutation ne laisse plus beaucoup de temps à des expérimentations. Par ailleurs, je ne suis pas certain que l’Etat devrait être attendu comme l’initiateur de tout cela. Les autres acteurs de la presse (autres titres, syndicats,…) doivent aussi y prendre part.

    • Les autres titres? Aider Libération? Malheureusement, je ne suis pas certain qu’ils le fassent. Les gens se connaissent, bien entendu, se croisent, s’écrivent. Mais de là à se retrousser les manches pour travailler ensemble… Je suis d’accord avec toi sur le fait qu’en effet, il n’est plus l’heure de faire des expérimentations, etc. Il faut passer à l’action, radicale, puissante, moderne, rigoureuse et revigorante. (rien que ça^^)

      • Cher Gilles,

        La PQN connaît un lent déclin lié à une distorsion de ses coûts de production et de distribution depuis la fin de la deuxième guerre mondiale:

        1. Le syndicat du livre continue à vivre sur ses acquis d’un pouvoir de vie ou de mort sur un journal.

        2. Les NMPP bénéficient de leurs acquis de la Résistance. Ils sont devenus économiquement intenables et injustifiés politiquement : les kiosquiers meurent à petit feu au prix de la soi-disant « intouchabilité » de la CGT.

        3. Les journalistes bénéficient d’avantages sociaux (convention collective) et fiscaux (déductions) qui les lient d’abord aux pouvoirs économiques (ils deviennent des intellectuels précaires grâce à leur si fameuse clause de conscience et ils sont vivement encouragés à aller faire des piges grasses ailleurs sans que nous soyons jamais certains, en tant que lecteur, qu’il n’y ait pas de retour d’ascenseur) et aux pouvoirs politiques (nous en avons assez dit sur sur la complaisance supposée).

        3bis. Les pouvoirs politiques successifs n’ont jamais voulu s’attaquer réellement à cette distorsion de concurrence et à ces coûts devenus injustifiés (il n’y a plus de plomb dans les imprimeries) qu’ils ont cherché à compenser aux frais de la collectivité: aide postale, aide à la presse, fonds Google maintenant ….

        4. Résultat : Les quotidiens parisiens sont bien plus chers 1,7 à 2 € vs 1 à 1,2€ que les quotidiens des pays voisins avec un contenu souvent bien moindre.

        5. Gestion : Les entreprises de presse ne sont plus des entreprises : leurs politiques marketing et vente sont globalement très mauvaises, ils n’ont jamais recruté de talents dans les grandes structures du marketing du fait d’une politique salariale appauvrissante et d’un quant à soi maximal dans ce milieu.

        6. Actionnariat : la presse française ne doit plus son bon vouloir qu’à des grandes fortunes qui viennent y acheter leur viatique et leur accès au pouvoir.

        7. Je crains que toutes les solutions proposées ci-dessus ne soient donc que des cautères sur des jambes de bois si la profession ne s’attaque pas à ses problèmes de coût de fabrication (impression et distribution) et de production (des journalistes normalement payés et réellement indépendants).
        C’est à ce prix que les entreprises de presse, redevenues des entreprises au compte d’exploitation normal, pourront attirer des actionnaires ‘normaux’ et se relancer.
        Est-ce un vœu pieux je le crains ?

        Mais ne soyons pas alors surpris si la France reste si mal notée dans les classements sur la Transparence : nous n’avons pas la presse que nous méritons car nous refusons de nous attaquer à des distorsions de coût que la collectivité ne peut plus compenser. Si nous sommes obligés de nous en remettre au seul bon vouloir de grandes fortunes qui ‘daignent’ y consacrer quelques roupies la démocratie française ne pourra s’en porter mieux.

        Au plaisir de vous lire,

        Thierry

  • Libé, à mon sens, connait le destin d’une autre grande marque iconique, née à la même époque, et qui a porté durant des décennies les mêmes valeurs : Benetton.

    Durant des lustres, Benetton – comme Libé – a prôné et diffusé des valeurs de gauche, des valeurs de tolérance et d’ouverture, d’égalité et de fraternité, de lutte contre le sectarisme religieux et l’intolérance.

    Et puis, un beau jour, Libé, comme Benetton, sont morts.

    Au milieu d’un gigantesque amas de gravas d’une usine textile effondrée, à Dacca au Bangladesh, entre les corps entassés d’enfants ouvriers et de femmes exploitées, une pile d’étiquettes Benetton révélait la cruelle vérité aux yeux du monde sur la sincérité et la profondeur des valeurs affichées par la marque Benetton. Un odieux mensonge. Une gigantesque mascarade. La marque Benetton est morte ce jour là.

    Quelques mois plus tard, alors que leurs conditions de travail étaient infiniment préférables aux enfants sus-mentionnés, et l’immeuble dans lequel ils travaillaient situé dans un quartier cossu de Paris, c’est au milieu des colonnes d’un des derniers journaux français – Médiapart – qu’une catastrophe similaire s’abattait sur la marque Libération. L’immeuble – que son actionnaire fantasmait comme un café de Flore 2.0 – était le résultat d’un habile montage financier, imaginé par un ‘riche con’ afin d’échapper à l’impôt, impôt qui nourrissait pourtant en large partie et à coup de subventions phénoménales les locataires. Cela n’empêchait nullement ledit actionnaire d’envisager le plus sérieusement du monde de réclamer – tenez vous bien – l’aide de Bercy pour renflouer ce qu’il s’entête à appeler un journal.

    Abject cynisme. Effondrement des valeurs. L’immeuble, lui, tient debout, mais tout le reste est à terre. Actionnaires, locataires, salariés, syndiqués, et bien sûr, les rares lecteurs qui subsistaient…

    Libé, tout comme Benetton ou Findus hier, apparait désormais au grand jour. Un joujou de milliardaires cyniques, des idiots utiles incapables de faire face aux réalités du monde dans lequel ils vivent. Un vaste foutage de gueule.

    Le Roi est nu, et ce n’est pas le numérique qui va rhabiller qui que ce soit.

    Nous sommes entrés dans une ère de transparence, une ère cruelle, où les dissonances entre les faits et les paroles sont sanctionnées de façon immédiate. Où l’on ne peut porter des valeurs sans se les appliquer, sous peine de sanction de la part de la population.

    A ce jour, seul les politiques peuvent encore jouer à jeu qui consiste à vivre précisément l’inverse de ce qu’ils prônent, essentiellement du fait de la complicité des médias, ce qui n’est pas sans rappeler que – au fait – à quoi sert un média dans une démocratie, si ce n’est à être un contre pouvoir ? Du coup, à quoi sert Libé ?

    Faites en votre deuil, pour les plus habiles au sein de Libé, rendez-vous utiles et créez des médias – c’est une aventure passionnante – et rejoignez le clan des Mediapart, qui a lui seul (avec le Canard) porte ce rôle de contre pouvoir dans la moribonde démocratie française (classée 39e par RSF en 2014).

    Le Roi est mort, vive les médias.

  • Je pense qu’on peut sauver Libe à condition d’accepter une véritable révolution culturelle. Il faut réfléchir à une nouvelle formule combinant une publication 2ou3 fois par semaine complétée par un site payant apportant de l’info approfondie et inédite. Cela implique un effort considérable pour la rédaction actuelle qui a beaucoup souffert. Il faut enfin un véritable patron de la rédaction apportant des idées nouvelles. Je soutiens l’idée d’un médiateur qui permettrait cette mutation.

    • L’abandon du rythme quotidien. LA grande question. Revenue maintes fois en AG à Libération, etc etc. C’est perçu par certains comme une baisse de « gamme ». En fait, Ce dont vous parlez, existe un peu dejà, pour ceux qui s’abonneraient à l’offre Libé Week end : Tous les articles de Libé en version numérique la semaine, et en plus, le WE, le portage de Libé Week End, avec Next en plus etc.

  • Si l’on part avec l’idée que LIBERATION a un réel potentiel, avec un nouveau directeur autour d’une équipe soudé (acceptant peut-être quelques sacrifices) et avec un projet novateur alors tout est possible. Sa formule Week-end à travers un rythme plus lent donne une autre dimension au journal.

    Bien sûr en tant que marchand de journaux attaché au papier, il est important que Libération soit présent en Kiosque. Les ventes ont atteint un niveau relativement bas pour un quotidien national, peut être à cause d’une coupure entre Paris-Régions. Il porte malheureusement une étiquette de journal de BOBO Parisien » et n’est plus présent chez tous les diffuseurs de presse. c’est naturellement regrettable.Libération qui est essentiellement un quotidien d’urbains, est celui qui a été le plus touché par les gratuits. Paradoxe, ces mêmes gratuits sont maintenant devenus aussi déficitaires en raison de la contraction du marché publicitaire.

    L’Etat va t’il vouloir soutenir un peu plus Libération, alors qu’il souhaite apparemment accélérer la transition vers le numérique. Ce n’est pas son rôle de s’investir dans un journal mais être un médiateur surement.

    Reste certainement le plus important à mes yeux, redonner l’envie aux lecteurs de lire des quotidiens.

    • Merci pour votre contribution. On donne envie au lecteurs avec du contenu de haute volée. Je crains qu’il n’y ait pas de secrets. Et pour avoir ce contenu, il faut des équipes en effet motivée par une rédaction en chef engagée. Oui, Libération est un quotidien qui ne fait pas suffisamment de place à la province, et qui n’a pas su gérer ses antennes regionales. Il n’y a qu’à regarder la date du dernier billet ici : http://bordeaux.blogs.liberation.fr/

  • Je partage votre constat sur le fait que sans projet éditorial clair et novatrice, tout apport de capitaux ou projet plus global comme celui des actionnaires sera vain. Et c’est la grande faiblesse de la rédaction de Libé : elle semble pour l’instant fixée dans une réaction épidermique (ce qui est normal puisque la question est l’identité et la survie du journal) au projet des actonnaires, sans stratégie éditoriale à proposer pour avancer.
    Dans ce contexte, oui, une médiation est le moyen le plus efficace pour sortir de la crise par le haut. Mais pourquoi l’Etat ? Outre qu’il serait ensuite difficile pour l’Etat d’intervenir dans la crise de Libé sans le faire pour d’autres journaux (et la crise de Libé n’est probablement pas la dernière), on peut aussi s’interroger sur la capacité de l’Etat à entraîner des projets industriels dans un secteur si particulier que la presse, et sur sa légitimité à arbitrer des conflits sans arrière-pensées politiques ou sans encourir le soupçon d’arrière-pensées politiques.
    Alors qui ? Une personnalité respectée par les journalistes et les actionnaires et partenaires potentiels ? Je n’ai pas de nom, mais si Libé est nécessaire au paysage médiatique et au débat démocratique, il ne trouvera certainement quelqu’un pour se lancer.
    Quant aux exemples du Guardian et du New York Times, je crois qu’il faut les manier avec précautions. Certes, ces deux journaux sont innovants et attirent une audience très large. Mais le Guardian, qui a misé sur le tout gratuit, continue de perdre énormément d’argent. Et le New York Times a pu s’engager dans sa politique de développement grâce un investissement controversé du magnat mexicain Carlos Slim et en licenciant un grand nombre de salariés. Il ne faut pas oublier non plus que si ces deux quotidiens peuvent être aussi dynamiques et aussi lus, c’est parce qu’ils sont engagés dans une stratégie globale, avec des éditions web américaine et australienne pour le Guardian, et l’ex-Herald Tribune pour le NYT. Et que cette stratégie globale s’appuie sur la langue globale, l’anglais. Je ne crois donc que ce modèle puisse s’appliquer à Libé et à la presse française, malgré la francophonie. Je pense plutôt que les modèles se trouvent en Allemagne, que ce soit le Spiegel, la Frankfurter Allgemeine Zeitung ou la Zeit, qui continuent de se développer.

  • Susciter une médiation pour l’Etat ne signifie en aucun cas faire lui-même, mais inciter les parties à accepter une telle démarche et à choisir le médiateur idoine. Nulle part il n’est écrit dans ce texte que l’Etat ferait lui-même. En revanche il n’est pas très responsable de regarder passer les trains face à une telle situation, d’autant que les candidats pour faire évoluer les choses ne se bousculent pas. Bien sûr qu’il faudra trouver un management. Mais cessons d’en appeler toujours aux femmes ou hommes providentiels ou stars du secteurs plus centrés sur leur ego que sur le collectif. Le chantier est lourd. Le tournant à prendre est vital pour Libération. C’est aussi un cas d’école qui pourrait bien intéresser tout le secteur, tant les retards s’accumulent pour les quotidiens français dans cette mutation inévitable.

  • Chers Gilles, Jean-Marie,

    Je ne partage pas du tout votre avis sur la situation de Libération et la posologie à appliquer. Encore une fois, on se trompe de débat. Ce n’est pas de « médiation » dont a besoin ce journal, ni même d’autres spécialistes de l’innovation ou conseils experts. Tout ceci, à un moment ou un autre, ce journal en a déjà bénéficié, l’a déjà utilisé. La vérité (et c’est un ancien journaliste qui vous parle) est que le métier du journalisme et le secteur de la presse ont terriblement besoin de… gestionnaires, spécialistes business, e-commerce, financiers… mais de l’ère 2.0. Tous ceux qui permettront à un journal de continuer à avoir un socle financier tout bête : soit des ventes générant du chiffre d’affaires, générant des réserves d’argent pour investir demain et déjà faire croûter tout son monde au quotidien.

    Le tout en respect de l’information et de l’éthique journalistique, c’est à dire… tout le contraire de ce que l’on a fait dernièrement ! Vous ne l’aviez pas vu ? Les journaux et groupes de presse se sont gavés de profils HEC-Essec, experts en marketing et autres vendeurs de tout poil dont les discours rodés à base de PowerPoint ont fait tourner la tête de patrons aux abois ou largués sur le numérique. Bilan des opérations ? Quelques années plus tard, pas plus que les autres, ils n’ont réussi à inverser les courbes et transformer le plomb d’imprimerie en or digital.

    Qu’il faille vendre autre chose sous la marque Libération ? Et alors, où est le problème ? Je suis frappé qu’un sociologue ne l’ait pas noté : l’info est désormais un produit social qui sort, littéralement « explose » de partout, toute la journée, de chacun de nous équipé de terminaux mobiles, de chaque association, entreprise, cause, équipée de la moindre page web. La vérité ? Nous sommes saturés d’infos, de messages, d’analyses, de données… nous ne pouvons plus les digérer, nous n’en avons plus le temps. C’est aussi la bonne vieille analogie du vitrier : si l’on trouve des vitres de partout (en tout cas au premier Leroy Merlin du coin) hé bien oui, on a plus besoin de vitrier tapant à notre porte. Et ainsi des cochers, des allumeurs d’éclairage public, des dactylographes, etc, etc. C’est triste mais c’est le sens de l’Histoire.

    Que les actionnaires de Libération veuillent donc utiliser son capital immobilier et son (encore) aura pour en faire un lieu de culture et échanges ? Mais pourquoi le leur reprocher ? C’est peut être la moins idiote idée que j’ai entendue concernant une marque de presse, ces dernières années… Pourquoi ? Parce que quoiqu’en dise les experts en contenus digitaux et réseaux sociaux que nous sommes devenus tous (moi compris) ces nouveaux supports digitaux ne se vendent pas, en tout cas pas suffisamment pour revenir au profit des entreprises de presse qui peuvent les produire. On peut le regretter, mais c’est ainsi. Il faudrait en tout cas s’auto administrer une baffe à chaque fois que nous lisons Twitter pour nous informer, regardons des docs entiers sur Youtube, ou produisons du contenu pertinent pour des blogs gratuits. (je viens de faire ce week-end chacune de ces choses !). Il faut être un minimum cohérent à un moment.

    Enfin, je ne vois pas pourquoi il faudrait déclencher une « médiation » d’Etat pour amorcer le processus de sauvetage de Libération (entreprise privée) seul… C’est à dire ignorer à ce jour les Centre-France, Nice-Matin… hier les France-soir, Première, etc. Je ne vois pas au nom de quelle valeur supérieure, un titre dit « de gauche » (dont je suis lecteur par ailleurs) serait à sauver au devant de tous les autres. Ni même en quoi la presse et ses journaux papiers seraient des causes prioritaires au devant de toutes les autres entreprises d’autres secteurs économiques en souffrance ou questionnement.

    C’est la méta-crise, à la fois conjoncturelle (plus de boulot, plus de pognon) et structurelle (les modèles économiques d’hier ne tiennent plus) ? Hé oui, mon bon monsieur. La presse est désormais concernée ? Hé oui bis, les journalistes et leurs patrons apprennent à ne plus seulement aller observer fermetures d’usines et plans de licenciements chez les autres, avec une méthodologie qui confinait parfois à l’expertise cynique. Désormais ça les concerne aussi, directement, dans leur porte-monnaie et leur vie intime. Et quelque part, c’est très bien ainsi. Nous avions oublié au passage que les journaux et médias ne sont pas des entreprises « hors norme », ni « au-dessus du lot » et ses salariés des professionnels « à part ». Elles ne sont pas décrétées d’utilité publique ou cause nationale, ou bien alors j’aurai loupé une case.

    Maintenant, après la critique nécessaire sur votre propos, la contribution. Pour aider vraiment Libé ? Je ne vois qu’un retour à ses heures de gloire (des plumes, de l’intelligence) mais vendu différemment. Plus seulement par une signature au bas d’une chronique sur papier imprimé. Mais peut être par des formes de commercialisation originale, inédite (et pas seulement digitales) et surtout en reconstruisant un projet d’entreprise et plus seulement un « modèle économique ». Ce sont des axes que j’ai déjà soumis pour aider le débat global, sur le site 2081.info : ici http://www.2081.info/?contrib=0&sujet=100 (e-commerce intelligent) et là http://www.2081.info/?contrib=249&sujet=100 (sur la notion de vivabilité). Et j’en ai rédigé un prolongement complet sur l’Atelier des Médias (http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/mod-les-conomiques-de-la-presse-demain).

    Et comme médiateur (qui peut être utile oui), je pense que la situation exige qu’il en soit un inscrit dans le processus concret de sauvetage économique, plutôt que puisé dans les chambres de représentation ou partenaires étatiques. Ce devrait être presque un « chef de projet » du sauvetage, nommé par les actionnaires en accord avec les salariés. Ce qui s’appelle aussi un « manager de crise » ou « de transition », et ce n’est pas un gros mot !

    Au plaisir de prolonger l’échange avec vous, ici ou ailleurs.
    Laurent Dupin (co-founder LeWebLab.com)

    • Je constate que chacun à propos de cette idée de médiation réagit comme si elle supposait à priori une réponse. Pourtant le principe de la médiation suppose que les hypothèses les plus diversifiées sont sur la table et que précisément il s’agit d’identifier celles qui sont les plus pertinentes, y compris celles qui se tournent vers le public pour lui demander ses contributions, pour lui proposer d’accompagner les réponses financières via le crowdfunding que l’on nous promet assoupli. Non la demande de médiation n’est pas liée à l’orientation éditoriale de Libération, mais au fait que la situation apparaît à la fois bloquée et périlleuse. Ce qui n’est pas le cas, pas encore espère-t-on pour les titres de PQR. Une fois de plus nous sommes devant un cas d’école et son traitement, les méthodes qui lui permettront de dépasser sa crise actuelle serviront à l’ensemble de la presse pour s’en inspirer, les analyser, en tirer le meilleur ou se démarquer des erreurs possibles. Non qu’il y ait modèle à attendre dans le contexte actuel, mais bien parce que chacun est mis au défi de se transformer, de trouver des solutions originales, tout en s’inspirant des expériences, ici en France, en Grande Bretagne, aux Etats Unis, en Allemagne, au Canada, etc. Non qu’il y ait à copier, mais bien à tirer la leçon et le meilleur de chaque expérience..

      • Ce serait une médiation pour… cogiter et servir de laboratoire de procédure ? Pas certain que Libération, la presse écrite et les médias en général en ait le temps. Vous savez, j’entends causer de « crise de la presse » liée au digital depuis… plus de 5 ans ! Des débats, colloques, sommets, etc. et pas un début de commencement de réponse solide et durable.
        Et un ancien journaliste qui m’avait conseillé au début de mon parcours, il y a longtemps, m’avait dit en substance : « coco, quand je suis rentré en journalisme dans les années 60, on me disait déjà que c’était en crise… ».
        Par définition même, la « crise » ne peut être un état permanent. Ou si c’est le cas, alors on est face à une situation hors norme, qui n’obéit plus aux seules lois du marché et de la logique.

        • La disparition de plusieurs dizaines de quotidiens aux Etats Unis ce n’était pas dans les années 60. -30% de journalistes dans la décennie 2000 aux Etats Unis, ce n’était pas dans les années 60. L’arrêt de de l’impression de deux quotidiens nationaux en deux ans. Les fusions d’éditions en chaîne en PQR, des reculs de près de 10% de la diffusion de la PQN l’an dernier, ce n’était pas dans les années 60… Il faut se méfier des « anciens » qui prétendent avoir tout vu et tout connu. Il y a une particularité de la période actuelle dans tous les pays industrialisés. D’ici avril ou mai nous devrions sortir le livre qui reprend notre dernière Conférence Nationale des Métiers du Journalisme, qui faisait un large tour d’horizons international et qui donne la mesure de la rupture actuelle et que nous ne voyons pas assez à force de ne regarder que la situation française.

          • Nous sommes d’accord. Je pointais justement cette anecdote sur la « crise », parce qu’elle révèle une situation inédite aujourd’hui… de « méta crise ». A t-on trop crié au loup dans la presse avant ? A t-on trop longtemps fermé les yeux et appliqué des solutions superficielles ? A t-on trop pensé que le journalisme était si essentiel à la démocratie, donc immortel ? Je le pense.
            Je lirai avec plaisir votre ouvrage à venir.

  • Hum.
    Une médiation ? Avec les lecteurs, alors.
    Aucun, ici, ne parle de lecteurs. Les lecteurs, ces personnes impliquées dans une insitution, une entreprise, une association, un comité de quartier, qui ont des choses à dire. Et d’autres, qui ont besoin – voir envie – de choses à lire.
    Avec des rôles interchangeables, bien sûr : celui qui aujourd’hui ne fait que lire pourra être demain celui qui a quelque chose à dire.

    Il fut un temps où Libération était le lieu de l’expression via sa page Rebonds. Aujourd’hui, cette page emblématique n’est plus le lieu de l’expression. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas forcément les réseaux sociaux qui lui ont piqué la place.

    Plutôt tout un ensemble d’écrits éparpillés ici et là, avec un bout sur Rebonds, pourquoi pas, plus un texte étoffé sur un blog, une discussion sur twitter, un groupe sur facebook, un bouquin.

    Aujourd’hui, le partage des idées se fait comme ça, « façon puzzle ».

    Il me semble, de loin, que les équipes de Libé n’ont pas bien pris la mesure du changement. Nous ne sommes pas simplement dans une rupture des moyens de l’information. Nous sommes dans une rupture bien plus importante, sur notre façon de vivre.

    Fabrice @Epelboin:disqus a raison de dire que la marque est morte. Quelles sont ses valeurs aujourd’hui ? Quelles sont ses apports, surtout ?

    Libé a été le journal d’une époque. L’époque de mes parents, aujourd’hui à la retraite.

    Il a été le journal d’une classe. La classe des intellectuels, pas forcément riches, plutôt de gauche, majoritairement parisiens. Aujourd’hui à la retraite. Ou, pour la nouvelle vague d’intellectuels, qui se retrouvent en ligne principalement.

    Pourquoi sauver Libé ? Parce que c’est un cas d’école ? Parce que c’est un journal qu’on lisait à la fac ? Aujourd’hui, rien ne me donne envie de sauver Libé. Et ça, aucun médiateur ne pourra aider les équipes à trouver la réponse.

    • Personne n’oblige personne à lire, échanger, contribuer à la production de l’information. D’aucuns peuvent penser qu’il n’y a plus besoin de médiateurs, d’intermédiaires dans le foisonnement de l’information. Pourtant il semble bien que l’enjeu soit plutôt le déplacement du rôle des journalistes, des rédactions, des médias. Plus experts, dépositaire de l’emploi des outils et de l’expression, plus dans un sorte de surplomb ou magistère, mais passeurs, accompagnateurs, facilitateurs (curateurs). Et c’est cette question qui devrait selon moi être au cœur de la réflexion de la presse de demain, en fait un demain qui a déjà commencé. Ensuite vient la question des supports, de l’organisation, des profils et compétence, de la place et la relation aux publics. C’est en cela que le chantier actuel de Libération est cas d’école. C’est en cela en effet de l’échange et la contribution du public à la transformation nécessaire se pose. Ce n’est que sur cette base que des investisseurs peuvent faire le pari d’un tel projet

    • Hello Cédric. Merci pour ta contribution.

      « Une médiation ? Avec les lecteurs, alors. » Sauf que, c’est un vrai travail. Cette recension. Lorsqu’on lit les commentaires récents sur le site de Libération, on se rend compte qu’une bonne partie des lecteurs (non, je n’ai pas fait de stats) en veulent au site internet d’avoir supprimé les anciens forums, et d’avoir aussi changé la façon de modérer les commentaires. Pas simple du tout. En réalité, je crois, Libération ne parle pas assez avec ses lecteurs, de la même façon que la direction ne parle pas assez avec les salariés.

      • Bien sûr que c’est un vrai travail :) Mais il faut bosser pour avancer. Dans une situation comme Libération, il faut tout casser, même. Quitte à ne rien sortir pendant plusieurs semaines. Faire le tour de France, reprendre contact, organiser des rencontres, reprendre une place dans la vie des gens, des lecteurs.

        Voir ce qui leur plait, et faire le tri. Essentiel, de faire le tri. Sinon on fait n’importe quoi. Le truc avec les lecteurs, ce n’est pas de leur dire « Vous voulez un libé comment ? ». Mais d’aller les voir avec un projet, en leur demandant comment l’améliorer.

        Ce qui m’épate, sincèrement, c’est à quel point la survie de Libération ne semble intéresser que les journalistes. Et cela ne date pas d’aujourd’hui… -> http://fr.answers.yahoo.com/question/index?qid=20061018164242AAz87y7

  • Les médias ont montré ces dernières années qu’ils sont aveugles tant qu’ils ne sont pas au bord du gouffre. On est donc à la veille d’un « grand pas en avant » comme dirait le maire de Champignac. Mais peut-on aider Libé, actionnaires et journalistes, à choisir la bonne direction?

    J’ai évité jusqu’ici ce dossier à cause des arcanes françaises dont j’ai perdu le fil. Je ne suis pas aussi éberlué que John Paton ou Jay Rosen, comme ils l’ont manifesté ces derniers jours, mais bon: des milliardaires qui financent un journal de droite, on a ça en Amérique du Nord. À la pelle. Qui financent un journal de gauche? Impensable. Demander à l’État de s’immiscer dans un processus de presse? Impensable aussi.

    Mais je fais confiance à Gilles et à Jean-Marie Charon qui sont, eux, sur le terrain. S’ils proposent une médiation par l’État, c’est qu’elle serait possible. Quel pourrait donc être le sujet autour de cette table?

    L’argent, évidemment. Mais qu’on cesse de parler de crise du journalisme: le journalisme ne s’est jamais aussi bien porté. On n’a jamais eu autant de sources, de points de vue et d’analyses à la portée de tout le monde. La crise, la seule crise qui existe, est celle des éditeurs qui, comme Jean-Marie le souligne, sont complètement balayés par le Web et sont incapables d’y trouver des revenus avec leur machine traditionnelle: la vente de publicité.

    La publicité n’est pas « finie »: elle fonctionne très bien sur le Web pour les annonceurs, pour les agences et pour certaines plateformes. Elle fonctionne aussi plutôt bien pour les médias sur le Web. Mais l’équation réelle est que le numérique provoque la chute du papier (ventes au numéro et ventes publicitaires) et les nouveaux revenus sur le Web ne suffisent pas à compenser la chute des ventes du papier. C’est très simple et très clair. Cela explique aussi la stratégie de John Paton, à la tête de Digital First Media: foncer vers le tout numérique, limiter les pertes du papier.

    Il y a donc peu de doutes sur la situation: tout média d’information doit être sur tous les supports numériques, parce que c’est là que se trouve le public; accessoirement, il faut trouver quel rôle positif le papier peut avoir pour une entreprise de presse numérique; enfin et surtout, il faut trouver des revenus autres que la publicité (pas « à la place » mais « en plus »).

    J’ai bien sûr des observations précises sur la question, publiées sur mes blogs, disponibles pour mes lecteurs, pour mes clients, pour les journalistes qui me posent des questions. Mais Gilles ne m’a pas demandé mon avis sur ces revenus mais sur une possible médiation. J’ai donc une question pour la rédaction de Libé: s’il y a une médiation et que le sujet porte sur les revenus numériques autres que la publicité, qu’avez vous à apporter sur la table?

    Quels sont les revenus non-publicitaires que vous proposez?

    Je ne vous demande pas, évidemment, d’avoir des réponses toutes prêtes ni même d’y penser une heure ou trois semaines: je vous propose d’être journalistes. La question est toute simple: quels sont les revenus autres que la publicité qui existent dans les entreprises qui prospèrent sur le Web? Quelles sont les enteprises du domaine sportif, par exemple, qui ont des revenus sur le Web autre que la publicité? Pareil pour les domaines culturel, économique, social, politique, la mode, l’alimentation, les chaussures, etc, etc.

    Publiez tout. Consacrez-y un, deux, dix numéros spéciaux. Il en va de votre survie.

    Ha, bien sûr, en plus de vos enquêtes, n’oubliez pas de poser la question à vos lecteurs. Cédric Motte a mille fois raison: où sont les lecteurs? Les éditeurs de presse font souvent l’erreur classique de penser que les personnes les plus importantes d’un journal sont aux ventes et au marketing; les journalistes font l’erreur classique de penser qu’elle sont à la rédaction.

    Jeff Jarvis citait encore la semaine dernière la célèbre phrase de Dan Gillmor « My readers know more than I do ». Posez leur la question: ce sont les gens les plus important du monde.

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