L'Observatoire des médias

Les nouveaux chantiers numériques des chaînes de télévision

Ce billet est écrit par Gilles Pezet, à qui je souhaite la bienvenue. Les bouleversements numériques auxquels sont confrontés les médias passionnent ce professionnel de la veille.
Retrouvez-le sur Twitter : @gip89

Le colloque NPA Le Figaro qui s’est tenu mardi 26 octobre à la Maison de la chimie avait pour thème « Quelles stratégies industrielles pour les médias numériques ? ».

Le programme complet, la liste des différents intervenants et les tweets échangés lors de l’événement dans le billet mis en ligne le jour du colloque.

Le but de ce post n’est pas de résumer les différents propos mais simplement de livrer une vision d’ensemble, forcément subjective et principalement axée sur les chaînes de télévision. Après avoir écouté près de huit d’heure d’interventions sur des sujets sommes toute très variés, les questions se multiplient, les interrogations se bousculent.

Certaines tendances lourdes semblent néanmoins se dégager.

Les principales chaînes françaises, les acteurs historiques, font preuve d’humilité face aux bouleversements en cours. M6, TF1 et France Télévisions s’accordent sur un point : nous sommes petites, vraiment petites. Une humilité due à plusieurs facteurs : la crise traversée par le secteur (fragmentation des audiences, recul des investissements publicitaires… Seule la vente de machines à laver a permis à M6 de s’en sortir selon Nicolas de Tavernost) ; le changement de paradigme avec l’arrivée sur le marché de l’audiovisuel des géants américains de l’économie numérique (Google TV au cœur de nombreuses discussions, nous y reviendrons) ; la multiplication extrêmement rapide des supports (smartphones, tablettes numériques, téléviseurs connectés) ; les incertitudes quant aux modèles à adopter (Pierre de Fouquet co-fondateur d’Iris capital le reconnaît ouvertement : les chaînes manquent de stratégie).

Le tournant, le virage du numérique a été difficile à appréhender au sein des chaînes. Celles du groupe Bolloré ont été réticentes à la VàD. Le pôle digital du groupe media a mis du temps (trop de temps selon Yannick Bolloré) à se mettre en place. Chez TF1, les équipes ont longtemps été réticentes vis-à-vis de la catch-up, la délinéarisation étant perçue comme la mort du métier traditionnel d’une chaîne. Pour France Télévisions, Bruno Patino reconnaît qu’il reste encore de nombreuses équipes à convaincre.

Malgré ces difficultés, le tournant a été pris. Les chaînes françaises discutent même d’un projet commun sur internet (Nicolas de Tavernost). Les programmes se diffusent sur l’ensemble des supports. Au sein du groupe Bolloré, le marketing réfléchit à la déclinaison multisupport dès la conception d’un programme. Autre exemple, Endemol qui vend au groupe TF1 les droits d’exploitation de « Secret Story » sur internet. TF1 étant le seul bénéficiaire. Résultat, pour la troisième saison, 300.000 vidéos et 4 milliards de pages vues sur la toile ! Bref, catch-up et VàD vont dans le sens de l’histoire (Christophe Aulnette Directeur Général de Netgem) ; surtout, les différents écrans sont considérés comme une opportunité pour générer de nouveaux revenus.

Les producteurs réfléchissent eux aussi à la nouvelle donne numérique. Les chaînes restent le premier exploitant mais il n’y a pas de tabous concernant la désintermédiation. Marathon Group constate avec regret qu’à l’heure de l’hyper choix et des écrans multiples, Koh-Lanta, sa production phare, reste sans-doute sous-exploitée. Marathon Group toujours qui n’exclue pas a priori le principe de vendre des contenus exclusifs à un fabricant de téléviseur connecté. Endemol enfin, qui s’interroge sur la monétisation directe de ses contenus sur le net. De quoi alimenter les réflexions de Nicolas de Tavernost sur la séparation entre production et diffusion (« une sottise »).

Du côté des réseaux (SFR, TDF, Astra, Numericable, France Télécom Orange), deux consensus se dégagent. Pas question, au moment où Orange revend ses chaînes, de se lancer dans les contenus. Chacun son métier ! Ensuite, la France a des atouts. Le pays est sans-doute le premier du monde pour le développement de l’IPTV. Chacun des acteurs multiplie les innovations. Numericable va flasher l’ensemble de ses décodeurs le 9 novembre pour les rendre compatible avec la 3D. SFR s’apprête à lancer une nouvelle box « révolutionnaire » mi novembre. Astra travaille sur la norme HbbTV en partenariat avec des chaînes allemandes. TDF proposera une surcouche logicielle pour rendre les téléviseurs mieux connectés.

Cette conjonction entre évolution numérique des chaînes et force de l’IPTV pousse les acteurs de l’audiovisuel à un certain optimisme concernant la télé connectée. L’IPTV gérée par les FAI est un environnement fermé, rassurant. On apporte de nouveaux services (accord M6 et Sony sur le replay), on améliore les expériences de consommation (énormément d’attentes sur l’aspect recommandations des programmes via les réseaux sociaux). Mais, fondamentalement, rien ne change. Cela reste de la télé et la consommation de contenus ne faiblira pas (Yannick Bolloré). Mieux, le poids des marques renforcera les acteurs historiques dans cet univers d’hyper choix. Pas de menace donc mais des opportunités car les contenus audiovisuels sont au cœur des nouveaux usages (Laurent Solly, président de TF1 Distribution).
Dans cet écosystème porteur, Google TV est clairement désigné comme l’élément perturbateur. Il tire le marché vers le bas en ramenant la valeur des contenus à zéro (Xavier Romatet PDG de Condé Nast France). Toutes les discussions sont rompues (Francis Morel Directeur Général du Figaro). Inconcevable de rendre ses programmes disponibles (Nicolas de Tavernost). Google n’assume pas les coûts de production des contenus mais encaisse la publicité (Bruno Patino).

Reste donc une question en suspens. La plus fondamentale en ce qui concerne la télé connectée.

A partir du moment où les constructeurs décident d’ouvrir les téléviseurs à l’univers du web, est-il envisageable de maintenir longtemps des environnements fermés, basés sur des widgets ou des applications ? Ce modèle issu des smartphones est-il durablement adapté à l’écran principal ? Le téléviseur connecté n’a-t-il pas plutôt vocation à s’ouvrir à l’ensemble des contenus vidéos qui dominent aujourd’hui le web ? Si c’est le cas, alors, immanquablement, les appareils intègreront des outils de navigation, de search. Et Google une fois de plus sera le mieux placé pour s’imposer. Et si, face à cet état de fait, les chaînes ne poursuivent qu’une stratégie défensive (contenus bloqués) Google YouTube ne pourrait-il pas à terme se transformer en producteur de contenus ?