L'Observatoire des médias

Des remous entre actionnaires mais une levée de fond chez Rue89

Michel Levy-Provençal est aujourd'hui responsable technique "nouveaux media" de la chaîne d'information France 24. Il y a introduit, entre autre, le système de gestion de contenu open source Drupal, après un audit de plusieurs solutions, mais aussi et surtout après l'avoir installé à Rue89.com.

Michel est celui qui a permis de lancer techniquement le site Rue89.com (4 mois de développement, seul), mais il est aussi actionnaire de la société, il est fondateur, comme Pierre Haski, Laurent Mauriac, Pascal Riché et Arnaud Aubron. Mais Michel a désormais décidé de quitter l'aventure, de vendre ses actions. C'est en sorte la deuxième fois qu'il se sépare de Rue89. Michel avait en effet rejoint France 24 dès le lancement de Rue89, mais en était resté actionnaire.

MLP, alias Mikiane s'exprime sur son sur site, mikiane.com, dans un billet confession/coup de gueule titré Pourquoi je veux (à nouveau) quitter Rue89.

La raison principale qu'avance Michel est le fait que selon lui, Rue89 n'aurait pas rempli ses promesses de "l'info à 3 voix".
Dès le lancement du site (cf la copie d'écran exclusive que nous avions publiée le 2 mai 2007 , quatre jours avant l'ouverture au public) Rue89 met en avant la façon dont l'information alimentera le site : "Journalistes, experts, internautes". Et selon
Michel Levy-Provençal, cette "belle promesse" ne serait pas honorée.

Depuis trop longtemps l'édito avait remplacé l'info. Il fallait donc revenir à des fondamentaux et le journaliste devait se limiter à ce qu'il est censé le mieux faire : trouver, vérifier et rendre l'information de la façon la plus claire et la plus neutre possible. Nous voulions mettre les blogueurs et les internautes au coeur du projet. Le rôle de la rédaction était de privilégier les témoignages, de s'assurer que les faits et seuls les faits seraient rendus, de bannir le dogmatisme et d'animer le débat entre internautes. Le travail des journalistes devait se limiter à sélectionner les meilleurs contenus émanants d'experts, d'amateurs (souvent de blogueurs) et d'internautes pour fabriquer un journal d'un nouveau genre. En somme un projet d'interêt public.

Et vous voulez que je vous avoue quelque chose? Moi aussi, j'ai beaucoup cru mais je crois encore, au projet. Je veux y croire. Mais j'ai aussi des réserves. Pourquoi? Parce que moi aussi j'ai travaillé un bon nombre d'années au journal Libération, que je me suis particulièrement intéressé au projet Rue89, et que bien entendu, on est plus exigeant avec les projets auxquels on croit, et que l'on soutient.

Et c'est aussi comme cela que je ressens le billet de Michel sur Rue89, le billet de quelqu'un qui a tellement cru à une révolution… qui ne serait pas arrivée:

Il m'a semblé dès le début que mes camarades journalistes tombaient dans les anciens pièges, cédaient à leurs vieux réflexes. Dès la semaine qui a suivi le lancement du site je leur faisais part de mon étonnement de voir Rue89 se transformer en un journal d'opposition constitué presque exclusivement d'articles ou d'éditos émanants de la rédaction ou d'amis de la rédaction, souvent journalistes. La logique de castes perdurait, seul un détail changeait sur la forme : l'édito devenait billet de blog

Je n'ai personnellement pas fait un audit précis du pourcentage journalistes / experts / internautes des articles de Rue89 (selon Pierre Haski le contenu généré par des non-journalistes représente un quart du site), mais je suis d'accord avec le fait que, grosso modo, "chassez le naturel, il revient au galop". Je suis d'accord aussi avec Michel lorsqu'il parle de castes. Le phénomène est très présent chez les journalistes, ce n'est plus un scoop.

Mais là où je ne suis pas Michel c'est sur la méthode. Selon moi, Michel aurait dû quitter Rue89 avant. Michel a trop attendu. Non pas que je trouve que son idée de quitter le projet soit bonne, mais lorsque j'avais rencontré Michel chez France 24 il y a quelques mois, et il m'avait déjà, à l'époque, fait part de ses réserves. Alors à ce moment là, pourquoi rester? C'est juste que le moment est singulier. Juste quelques semaines avant une levée de fond. [de un million d'euros, me précise Pierre Haski] Une valorisation de près de 3 millions d'euros. Le voile est donc levé sur ce montant dont me parlait Pierre Haski lorsque je l'ai croisé aux journées Nexplorateur du Sénat… C'était "off", et c'est désormais public.

Pierre Haski n'est pas content, bien entendu de la publication du billet, de la révélation du montant de la levée de fonds, et visiblement du départ aussi de Michel:

"c'est pas des méthodes entre actionnaires, fondateurs de surcroît, et surtout d'un simple point de vue pratique, tu ruines ton investissement au moment ou tu veux vendre tes actions!!"

Il semble que Michel Levy-Provençal était comme bloqué, contraint de se retirer, avant la levée de fonds. C'est ce qu'il m'a confirmé au téléphone. J'ai tenu à avoir au téléphone à la fois Michel et Pierre avant d'écrire ce billet. Michel est comme soulagé, Pierre ne souhaite pas polémiquer, et ne posera pas de problème au départ de Michel du capital.

Depuis la publication de son billet, Michel a reçu des "soutiens". Le billet est devenu récipiendaire de doutes sur le site Rue89… mais aussi un lieu de débat sur les commentaires. L'anonymat ayant disparu sur Rue89.com : le mode "Courageux anonyme" n'est plus possible, cela était devenu ingérable pour l'équipe réduite de Rue89.

Alors, que dire, aujourd'hui? Personnellement je veux croire que Rue89 est une formidable initiative. Comme l'avoue Pierre Haski, le projet a été mis en ligne vite, très vite. Sans réfléchir? Non. Le projet était et reste, selon moi, intéressant. Mais le coup de gueule de Michel Levy-Provençal doit faire avancer le projet, sans le pénaliser. Surtout au moment où Edwy Plenel et consorts sortent bientôt Mediapart, avec une équipe de 27 journalistes. La concurrence de l'information "pure player" sur le net se fait de plus en plus rude sur le marché français. Rue89, Backchich, et Médiapart maintenant.

Au moment où l'équipe de rue89 provenant de Libération a fait part du projet à Laurent Joffrin, revenu depuis peu au bercail Libération, ce dernier avait tenté de les retenir. Sans succès. Qu'est-ce que cela aurait pu donner? Une sorte de Post.fr en plus sérieux et plus assumé par Libé? Impossible de le savoir. Libération travaille en ce moment à la nouvelle version de son site internet. Au delà du remplacement de la technique, du système de gestion de contenu (je vous parlerai bientôt du système choisi), est-ce que Libération aura l'idée de créer un espace participatif?

Que va faire Rue89 de ses trois millions? Déjà, assurément, commencer à payer ses journalistes? Mettre en ligne, enfin, une véritable version 2 du site, attendue, promise, jamais venue ? Bien d'autres choses, on l'espère.

De son côté, Michel confie :

Je souhaite aussi que le capital issu de la vente de mes actions soit mis à profit d'un nouveau projet réellement d'intérêt public. Un projet auquel je refléchis et qui est ouvert aux participants de bonne volonté.

Le début du buzz?

Mise à jour  : 

Pierre Haski me précise le montant de la levée de fond, 1 million, par rapport à la valorisation de la société, évaluée à 3 millions d'euros. sur les salariés :Rue89 a déjà 8 salariés et 5 pigistes (sans nous compter, nous 4 ex-Libé qui ne sommes pas encore payés par la société), donc nous n'attendons pas cette somme pour "commencer à payer les journalistes".