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La liberté d’expression n’est pas une dérogation

La liberté d’expression n’est pas une dérogation

Le projet de texte visant à transposer en droit national la directive européenne dite secret des affaires fragilise le droit du citoyen à être informé et la liberté d’expression.

L’Observatoire des Médias relaie la publication du Spiil.

Le Spiil regrette que la primauté du droit à être informé sur le droit aux secrets ne soit pas exprimée avec suffisamment de clarté dans la proposition de loi. Là où le législateur français considère la liberté d’expression comme une “dérogation”, le texte européen, lui, affirme sans ambiguïté et dès son premier article cette primauté.

Ce manque de clarté crée un risque majeur, celui d’une multiplication des procédures contentieuses. Les éditeurs de presse, souvent de très petites tailles, n’ont pas les moyens de soutenir des procédures abusives. Or certains acteurs économiques sont friands de ces “procès-baillon”. Cette confusion risque donc de générer un comportement d’auto-censure, préjudiciable à notre démocratie.

Si l’enjeu de ce texte est bien de veiller à l’équilibre entre deux droits, celui d’informer et celui de maintenir des secrets pour les entreprises, alors le Spiil demande au législateur et aux pouvoirs publics de tenir compte de celui fondamental qu’est la liberté d’expression telle que consacrée par la loi du 29 juillet 1881 en l’inscrivant nommément dans le texte de loi.

Dans notre démocratie, c’est cette loi qui organise l’équilibre entre les garanties individuelles et la protection des libertés fondamentales. Le texte de loi présenté par le législateur vient fragiliser cet équilibre. Nous rappelons que la loi de 1881 encadre la responsabilité des éditeurs de presse. Elle présente les garanties nécessaires pour permettre au juge de bien apprécier, notamment, la valeur d’intérêt général des informations révélées.

Ce texte risque d’accélérer une dynamique regrettable, celle du contournement du droit de la presse par le droit commercial. La récente “affaire Challenges” en est un triste exemple. Pour rappel, l’hebdomadaire, assigné devant le Tribunal de commerce de Paris par l’entreprise Conforama dont il a révélé les difficultés économiques, a été condamné à retirer l’article de son site et à ne plus publier d’article sur le sujet. Au nom de la liberté d’informer, il a fait appel.  En 2014,TourMaG, site de presse spécialisé dans l’actualité économique du secteur du tourisme, avait été condamné pour avoir publié des informations économiques et sociales incontestées concernant TUI, un opérateur économique majeur de ce secteur. Pour la première chambre civile de la Cour de cassation, il s’agissait d’une violation du Code du travail et de la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

C’est pourquoi, le Spiil demande au législateur :

• de consacrer explicitement la primauté de la liberté de la presse, telle que définie par la loi de 1881, sur le secret des affaires, et ceci dès les premiers articles ;

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• de faire référence au secret des sources ;

• de mettre en place un dispositif ex-ante pour prévenir les procédures abusives se revendiquant du secret des affaires.

Le Conseil d’Etat, dans son avis rendu jeudi 15 mars dernier, rejoint ces préoccupations en indiquant “qu’il conviendrait de mentionner au nombre des cas licites, et non parmi les dérogations, l’hypothèse de l’obtention d’un secret des affaires dans le cadre de l’exercice du droit à l’information (…)”.

Le Spiil regrette également que ce projet de texte fasse l’objet d’une procédure accélérée, empêchant un débat serein, alors que le calendrier de transposition de la directive était connu depuis son vote en 2016.

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