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Pourquoi la Commission tue la presse européenne ?

Pourquoi la Commission tue la presse européenne ?

logo_presseuropPresseurop, le site de revue presse européenne, a annoncé hier l’arrêt de sa publication à compter du 20 décembre. « Notre contrat avec la Commission européenne, notre bailleur, se termine à la fin de l’année.

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Lire le billet de log de By Matthew Dalton sur le WSJ

Le 19 juin dernier, la Commission a publié un appel d’offres qui, si nous l’avions remporté, nous aurait permis de poursuivre notre activité. Elle l’a toutefois retiré le 12 juillet, notamment suite à la parution de deux articles critiques — dans The Times et le Wall Street Journal — vis-à-vis du contenu de l’appel d’offres et pour des raisons budgétaires » expliquent les rédacteurs en chef, Eric Maurice et Gian Paolo Accardo.

Un cas unique dans le paysage médiatique français

Une explication sobre, qui s’inscrit dans le cadre du plan de licenciements initié par le groupe Le Monde et qui touche la rédaction de Courrier International, dont fait partie Presseurop. Presseurop est pourtant un cas unique dans le paysage médiatique français.

En quelques années, le site est devenu la référence en matière d’informations européennes. Chaque jour, journalistes et traducteurs fouillent la presse de neuf pays à la recherche des sujets qui interpellent, au-delà des frontières. Avec plus de 600 000 visiteurs uniques par mois, il démontre l’intérêt des citoyens pour la chose européenne. Mais rien n’y fait : les services de Mme Reding, la commissaire européenne à la citoyenneté, ne soutiennent pas le titre, échaudés par deux articles hostiles de la presse anglo-saxonne.

Cette même Commission viendra ensuite se plaindre du faible niveau de connaissance des citoyens sur l’Europe. Et condamne aussi 70 personnes — journalistes, éditeurs et traducteurs — à perdre leur emploi. À pleurer.

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L’article de Charles Bremner sur thetimes.co.uk

Les critiques de la presse britannique portaient sur deux points précis : tout d’abord, la nature de l’appel d’offres publié en juin, jugé trop restrictif ; un point qui est reconnu par l’ensemble des observateurs des affaires bruxelloises. Mais alors que l’on s’attendait à la mise en place d’un nouvel appel d’offres, la deuxième critique a touché un point plus sensible : pour les médias britanniques, l’Europe n’a pas vocation à financer des titres de presse. C’est « Shocking ! », c’est « la Pravda européenne », menée bien sûr par d’ignobles fonctionnaires bruxellois. Pire, c’est une « distorsion de concurrence » ! Il est bien connu que les journaux réalisant une revue de presse européenne quotidienne sont légions, et que Presseurop leur fait de l’ombre.
mediapart-medias-europeensUn article publié aujourd’hui dans Médiapart montre aussi que certains collègues bien intentionnés ont vu dans cet appel d’offres une occasion de ramasser du cash aux dépens de Presseurop. Presse, ton univers impitoyable.

L’Union Européenne peut-elle financer des organes de presse ?

Tout ceci serait anecdotique si une vraie question politique n’était pas posée à travers cette histoire : l’Union Européenne peut-elle financer des organes de presse ? Des médias comme Euronews, ARTE, France24, CaféBabel, EuradioNantes, pourraient-ils exister sans soutien de l’UE ? La France a une tradition d’aides à la presse massive assez unique dans un État démocratique. Les aides européennes restent minuscules par rapport aux budgets nationaux allant aux services publics d’information, mais la question se pose : l’UE peut-elle aussi soutenir des médias, tout en préservant leur indépendance ?
On peut aussi aborder la question différemment : les politiques ne se privent pas de critiquer l’UE lorsqu’elle ne défend pas la presse indépendante, dans des pays comme la Hongrie, la Grèce, la Pologne, la Roumanie. La liberté de la presse fait partie des valeurs fondamentales de l’Union Européenne, et dans un contexte de crise économique majeure du secteur, de plus en plus d’acteurs se tournent vers l’UE pour obtenir un soutien. Celle-ci a timidement commencé à répondre cette année, en amorçant une discussion sur le soutien au « journalisme de qualité », au pluralisme des médias et à la mise en place d’instances nationales de déontologie.

Presseurop permet de lire en neuf langues, le meilleur de la presse européenne

Le débat mérite d’être abordé au-delà des invectives des tenants du modèle ultralibéral, qui ne rêvent que de supprimer toutes les aides publiques aux médias, et de privatisation des services publics d’information.

À six mois des élections européennes de 2014, alors que le public demande une meilleure information européenne (voir ce graphique), l’arrêt de Presseurop serait un signal désastreux.

Une pétition de soutien a été mise en ligne par nos confrères  de Presseurop.

Elle est adressée à la commissaire européenne à la Justice et aux Droits fondamentaux, Viviane Reding, pour qu’elle revienne sur son refus de poursuivre le financement de ce média.

savePE

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Fabrice Pozzoli-Montenay
Journaliste, Secrétaire Général AJE France

 

Photo Viviane Reding : worldeconomicforum sur Flickr

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