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[Big bang de l’information] Vers une nouvelle circulation de l’info ?

[Big bang de l’information] Vers une nouvelle circulation de l’info ?

Nicolas Obrist (@nobr_ ) publie sur l’Observatoire des Médias des billets issus de son mémoire sur le web et l’information, que l’on retrouvera aussi sur son blog Le Temps des Médias. Au menu aujourd’hui : la circulation de l’information (avec le rôle de Twitter), l’impact sur l’agenda médiatique et le glissement vers un journalisme de communication… Bonne lecture !

Quel est, aujourd’hui, le parcours d’une information ? Lorsque les médias étaient seuls à traiter et diffuser l’information, la circulation se faisait – de fait – en vase clos. Désormais, avec l’arrivée de nouveaux acteurs dans la fabrique de l’information, ce schéma est remis en cause. En 2009, une équipe de chercheurs, menée par Jon Kleinberg de l’Université Cornell, a réalisé une étude sur le cycle de l’information : « Meme-tracking and the Dynamics of the News Cycle ». Ils ont suivi 1,6 million de médias traditionnels en ligne (dénommés « mainstream media sites ») et de blogs sur les trois derniers mois de la campagne présidentielle américaine en 2008. L’objectif était de mettre en exergue des schémas de circulation de l’information dans le temps. Ils ont notamment pu observer qu’il existe un délai de 2h30 entre le pic de visibilité d’une information dans les sites de médias mainstream et son pic de visibilité dans les blogs. Quant aux 3,5% des cas où les blogs devancent les médias traditionnels, il apparait que c’est le fait de blogs politiques professionnels ou quasi-professionnels, qui bénéficient déjà d’une certaine reconnaissance pour leur compétence et leur crédibilité. L’évolution de la visibilité des mèmes et des fragments de phrases suivis met en avant deux éléments qui, combinés, permettent de faire apparaitre un schéma de circulation de l’information : l’effet d’imitation entre les médias et le caractère récent d’une information. Les chercheurs ont en effet démontré que plus une information est traitée par les médias, plus les médias la traiteront. De plus, il ressort qu’une information récente est privilégiée par les médias face à une information plus ancienne.

Suite à la publication de cette étude, Sreenath Sreenivasan, professeur spécialisé dans les nouveaux médias à l’Ecole de Journalisme de Columbia, estimait dans le New York Times (« Study Measures the Chatter of the News Cycle », 12 juillet 2009) que les travaux de Kleinberg permettraient de mieux comprendre le cycle de l’information. Mais il a également ajouté que le schéma de circulation identifié par ces travaux était déjà en train de changer en raison de la montée en puissance des médias sociaux, notamment Twitter.

L’AFFAIRE BOUTIN : CAS D’ETUDE

Récemment, l’affaire Boutin nous a donné un aperçu de ce que pourrait devenir le schéma de circulation de l’information avec ces médias sociaux, et le rôle que pourrait jouer Twitter. Cette affaire portait sur le cumul par Christine Boutin de sa retraite de parlementaire avec une rémunération – jugée excessive – pour une mission que lui avait confiée le Président de la République. Pour cette analyse, nous avons utilisé le linkscape, le moteur de recherche développé par linkfluence, permettant d’effectuer des recherches au sein d’un échantillon d’environ 10 000 sites et blogs considérés comme les plus influents de leur communauté respective. Il permet notamment de remonter plusieurs mois en arrière et de centrer sa recherche sur une période en particulier.
Si c’est une révélation du Canard Enchainé, datée du 9 juin 2010, qui lance ce qui deviendra en quelques heures l’affaire Boutin, c’est pourtant sur le web que l’information est disponible en premier. Dès le 8 juin au soir, l’information commence à circuler suite à une dépêche AFP, publiée un peu après 20h, qui est reprise d’abord sur quelques sites de médias traditionnels (LeFigaro.fr à 20h21, LeTelegramme.com à 20h24, LePoint.fr à 20h29). Dans le même temps, la communauté « extrême-droite » commence également à reprendre l’information, notamment sur Fdesouche.com (le premier commentaire date du 8 juin 2010, à 22h23, prouvant ainsi que le billet a bien été publié ce jour), un des blogs les plus influents de cette communauté. Alors que l’information continue de circuler, surtout le lendemain matin avec la disponibilité papier du Canard Enchainé, Christine Boutin intervient sur RTL, où elle est l’invitée de Jean-Michel Aphatie. Pendant que ses propos confirmant les informations de l’hebdomadaire satirique agrémentent les articles portant sur le sujet, la polémique est sur le point de dévier, en raison d’un simple tweet. A 10h47, le blogueur Authueil, également assistant parlementaire d’un élu UMP, lâche l’information qui va largement amplifier la polémique : « Boutin touche sa retraite de députée (elle a siégé de 1986 à 2007), son indemnité de conseiller général en plus des 9500 euros ». L’information est repérée par Samuel Laurent, journaliste politique au Monde.fr, qui publie, à 11h24, ce tweet : « Je viens d’appeler l’entourage de Boutin, qui touche bien une retraite parlementaire et une indem de cons. Grle comme le dit @autheuil ». Dans le même temps, quelques médias en ligne reprennent l’information, mais c’est surtout l’article de Samuel Laurent sur LeMonde.fr (« Christine Boutin toucherait près de 18 000 euros mensuels »), publié à 12h, qui va enclencher la polémique sur le cumul rémunérations/retraites. A partir de là, des dizaines d’articles sont publiés, reprenant tous l’information sur le cumul et le chiffre de 18 000 euros comme rémunération mensuelle totale pour Christine Boutin. L’information continue de se développer par le biais d’interviews de membres de la majorité dans les médias traditionnels, notamment les radios, et dont les propos sont repris et commentés par ces mêmes médias, ainsi que par les médias sociaux. C’est finalement 48h après les révélations du Canard Enchainé, le jeudi 10 juin au soir, que Christine Boutin a renoncé à son salaire de chargée de mission, décision qu’elle a annoncée dans le JT de France 2. L’information est immédiatement reprise et diffusée par les médias en ligne. S’en suivra un débat autour du cumul d’une retraite d’élu avec une rémunération autre, qui s’est notamment développé dans les forums de discussion. Cette « jurisprudence Boutin », comme la nomment les médias, alimentera les conversations sur le web de façon significative pendant une dizaine de jours, même si l’affaire est nettement moins visible à partir du 11 juin, lendemain de l’intervention de Christine Boutin sur France 2. Cette polémique autour du cumul de la retraite parlementaire avec une autre rémunération a eu une conséquence importante dans la vie publique : les ministres qui touchaient une retraite parlementaire en plus de leur indemnité de ministre ont dû renoncer à leur pension tant qu’ils sont en poste.

Que nous enseigne cette chronologie ? Tout d’abord, on constate que le web et les médias traditionnels ont travaillé main dans la main au début de l’affaire, ce qui a permis l’émergence d’une information plus complète que celle du Canard Enchainé. Ensuite, on observe que, si c’est bien un média traditionnel qui a déniché l’information, celle-ci sort en premier sur le web, d’abord sur des sites de médias, mais très vite également dans la communauté extrême-droite. A noter que le blog Fdesouche.com cite LeFigaro.fr comme source pour son billet, ce qui montre bien que les médias traditionnels en ligne ont précédé les médias sociaux. Toutefois, c’est par les médias sociaux que le cœur de la polémique arrive, puisque c’est un blogueur qui donne le premier l’information selon laquelle Christine Boutin touche, en plus des 9500 euros de sa mission, sa retraite de parlementaire. Or, c’est bien la question du cumul qui fera débat. Comme l’a montré l’étude menée par Kleinberg, ce schéma de circulation de l’information reste très rare, mais lorsqu’il se produit, c’est par le biais de blogs reconnus. Dans le cas de l’affaire Boutin, cela se confirme en partie : Authueil est effectivement un blogueur politique connu et reconnu sur la blogosphère française. Mais il a choisi un autre canal que son blog pour sortir son information : Twitter.

L’IMPACT DU WEB SUR L’AGENDA MEDIATIQUE

Finalement, la nouvelle circulation de l’information est similaire au parcours d’un texte de loi pour devenir une loi. Comme au Parlement, avec le Sénat (qui représenterait les médias traditionnels), l’Assemblée nationale (web social) et la navette parlementaire (l’information se construit dans les allers-retours entre les deux). La communauté/le lecteur/l’opinion publique joue le rôle de la Commission mixte paritaire (dans une certaine mesure, Twitter joue aussi ce rôle, nous l’avons vu avec l’affaire Boutin, ainsi qu’avec la généralisation des live-tweets). La particularité de cet outil est qu’il est utilisé par une grande variété d’individus et d’entité : citoyen lambda, journalistes, politiques, entreprises, communicants… Cette mixité facilite les mises en relation entre ces individus, permettant, par exemple, à un tweet comme celui d’Authueil de résulter sur un article du Monde.fr.

Il nous reste à analyser le principe d’initiative de la loi et d’inscription d’un texte dans le calendrier parlementaire, ce qui correspond, ici, à l’agenda médiatique. Dans l’affaire Boutin, les médias traditionnels ont mis à l’agenda le problème soulevé par la mission confiée à l’ancien ministre. Par contre, nous l’avons vu, ce sont les médias sociaux qui ont mis à l’agenda la question du cumul avec la retraite. La mise à l’agenda médiatique dépend là aussi de différents acteurs, parfois extérieurs aux médias (politiques, société civile…). Mais ensuite, ce sont les acteurs politiques qui ont mené la danse, au fur et à mesure de leurs interventions médiatiques. On note donc peu de changements à ce niveau quant à la situation qui précédait l’arrivée du web : médias et politiques mènent une lutte continue pour garder la maitrise de l’agenda médiatique, avec une tout de même une plus grand emprise de la part des responsables politiques.

Nous en avons eu la preuve au cours de l’été 2010 avec le discours de Grenoble, prononcé par Nicolas Sarkozy, qui a permis de dévier l’attention des médias, jusque-là concentrée sur les retraites et l’affaire Bettencourt, vers les questions de sécurité, et notamment la situation des Roms. Par contre, l’actualité du web devient, de plus en plus, un sujet traité en tant que tel. Par exemple, les « apéros Facebook », apéritifs géants organisés dans plusieurs villes de France par le biais du réseau social Facebook, ont été largement traités par les médias traditionnels en avril 2010. De même, nous avons vu les débats suscités par l’utilisation de Twitter à l’Assemblée nationale dans le cadre de la réforme des retraites. Mais le web intervient également d’une autre façon dans l’agenda médiatique, puisque ce support est souvent choisi par les médias pour « tester » un sujet. Si les internautes s’emparent d’une information sur le web, alors les médias traditionnels seront plus enclins à les traiter. Ainsi, concernant une vidéo montrant une expulsion de sans-papiers qui avait été diffusée sur le web et reprise par plusieurs médias étrangers, l’AFP avait indiqué au site Arrêt sur image : « Nous attendions de voir si la vidéo faisait du buzz. C’est à partir du moment où elle a été très regardée que cela constituait un évènement pour nous« . Le web est donc utilisé par les médias comme un outil de sélection mais aussi de tri de l’information.

DE L’INFORMATION A LA COMMUNICATION

Les profonds changements apportés par le web sur la fabrique de l’information, ce qu’il change dans la manière dont l’information est conçue, montre que nous assistons aujourd’hui à un déplacement du « journalisme de l’information » à ce que l’on pourrait appeler un « journalisme de la communication ». Jean-Paul Lafrance, professeur-fondateur du Département des communications de l’Université du Québec à Montréal, dissertant sur la « société du savoir » et la « société de l’information » dans Critique de la société de l’information, rappelle des propos d’Antonio Pasquali, expert en communication ayant travaillé à l’UNESCO :

« Antonio Pasquali pensait qu’il fallait réintroduire le mot communication : « Informer connote pour l’essentiel la circulation de messages unidirectionnels, causatifs et ordonnateurs, tandis que communiquer fait référence à l’échange de messages bidirectionnels, donc relationnels, dialogiques et socialisants. »

Ce « journalisme de la communication » correspond donc à cette nouvelle fabrique de l’information, qui se fait dans « l’échange de messages bidirectionnels, donc relationnels, dialogiques et socialisants », par opposition au « journalisme de l’information », qui renvoie à la « circulation de messages unidirectionnels, causatif et ordonnateurs ». Le crowdsourcing, l’utilisation de Twitter et les autres exemples que nous avons étudiés dans ce mémoire le montrent : aujourd’hui, le journalisme se dirige vers une posture plus sociale – au sens sociétal du terme – et de moins en moins verticale.
Davantage impliqués, les citoyens-internautes attendent désormais une information qui soit chaque jour de meilleure qualité. Le blogueur Mancioday considérait d’ailleurs, lors de notre entretien, que « les gens sont de plus en plus exigeants avec l’information car ils deviennent acteurs de l’information. Donc ils savent ce qu’il est possible de faire ». Et de conclure : « c’est beaucoup plus sain ». C’est, en partie, ce qui explique la montée en puissance de la critique des médias
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