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Exclusif : Le courrier de la SDJ d’Itele et des organisations syndicales de Canal + au CSA

Exclusif : Le courrier de la SDJ d’Itele et des organisations syndicales de Canal + au CSA

L’Observatoire des Médias s’est procuré le courrier que la Société des journalistes d’ITELE et les organisations syndicales du groupe Canal + ont  envoyé entre lundi 24 et le mardi 25 octobre au CSA.

Edit du 26 octobre 7h30 :
Selon Libération,

La plainte [ci dessous] et d’autres, adressées cette fois par des téléspectateurs, ont été jugées recevables par le CSA, qui va instruire le dossier sous une dizaine de jours, après avoir entendu toutes les parties. La procédure pourrait aboutir à des sanctions, comme une mise en garde, une mise en demeure, voire – mais c’est improbable à ce stade – la suspension de la chaîne.

 

La Société des journalistes d’ITELE

Les organisations syndicales du groupe Canal +

 

Monsieur Olivier Schrameck
Président
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA)
39-43 quai André Citroën
75015 Paris

Paris, le lundi 24 octobre 2016

Objet : Violation de la convention entre le CSA et la société SESI concernant la chaîne de télévision iTELE (prochainement CNews)

 

Monsieur le Président,

Vous connaissez la situation actuelle d’iTELE, dont les salariés sont en grève depuis le lundi 17 octobre dernier, notamment en raison de l’arrivée à l’antenne de Monsieur Jean-Marc Morandini.

Le 20 octobre dernier, le CSA a reçu, à sa demande, les dirigeants du groupe Canal +, pour évoquer cette situation.

Selon les termes du communiqué publié après cette audition, le CSA « a manifesté sa vive préoccupation quant à la pérennité de la chaîne iTELE, pour le développement de l’information en continu » et « a insisté sur la disproportion entre les enjeux liés à l’avenir de cette chaîne qui suppose un engagement au service d’un projet collectif clair et ceux propres à la situation individuelle d’une personnalité des médias ».

Nous partageons, bien entendu, la préoccupation du CSA quant à la pérennité d’iTELE (nous demandons d’ailleurs, pour l’instant en vain, la définition d’un projet stratégique et éditorial clair), ainsi que l’avis du Conseil quant à la totale disproportion entre les enjeux liés à l’avenir de la chaîne, qui emploie plus de 200 salariés, et la situation individuelle de Monsieur Jean-Marc Morandini, que la direction d’iTELE s’obstine à souhaiter maintenir à l’antenne malgré l’opposition de la Société des journalistes de la chaîne.

Nous souhaitons toutefois aussi vous alerter sur le fait que plusieurs obligations mises à la charge de l’éditeur de la chaîne iTELE par la convention conclue avec le CSA (convention du 19 juillet 2005 modifiée en dernier lieu par l’avenant n° 12 du 1er juin 2016) nous semblent actuellement violées par la direction d’iTELE.

En premier lieu, le principe de « l’indépendance éditoriale de l’éditeur », prévu par les articles 2-3 -1 et 2-3-9 de la convention conclue avec le CSA, nous paraît bafoué.

En effet, d’une part, Monsieur Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance du groupe Canal +, actionnaire unique de la société SESI, éditrice d’iTELE, reconnaît lui-même son intervention directe dans le choix des programmes et des personnes intervenant sur la chaîne. Ainsi, par exemple, lors du comité de management du groupe Canal + du 13 octobre dernier, Monsieur Vincent Bolloré a déclaré: « Morandini sur iTELE, c’est ma décision ». Cette intervention directe de Monsieur Vincent Bolloré est d’autant plus évidente et attentatoire à l’indépendance éditoriale que le blog de Monsieur Jean-Marc Morandini est client de la régie publicitaire de la filiale média du groupe Bolloré, qui a en outre détenu jusqu’en 2011 la majorité du capital de la société éditrice de ce même blog.

D’autre part, Monsieur Serge Nedjar -dont le lien de dépendance avec Monsieur Vincent Bolloré est notoire et qui occupait encore en mai dernier les fonctions de directeur général de la société Matin Plus (éditrice du journal Direct Matin)[1], qui appartient au groupe Bolloré, et de président de la régie publicitaire de la filiale média du groupe Bolloré- cumule désormais les fonctions de directeur général d’iTELE et de directeur de la rédaction, en méconnaissance des stipulations de l’article 2-3-9 de la convention conclue avec le CSA, relatif à l’ « indépendance de l’information ».

Aux termes de cet article :

« L’éditeur veille à ce que les émissions d’information politique et générale qu’il diffuse soient réalisées dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information, notamment à l’égard des intérêts de ses actionnaires. Il porte à la connaissance du Conseil supérieur de l’audiovisuel les dispositions qu’il met en œuvre à cette fin.

L’éditeur s’engage à préserver son indépendance éditoriale par les moyens suivants :

  • Une direction exclusivement attachée au service : l’ensemble de ses membres dispose d’un contrat de travail conclu avec la société titulaire de l’autorisation. Le Directeur Général du service est gérant de la société titulaire de l’autorisation et assure donc en son nom la direction de la publication de la chaîne ;
  • Une rédaction de journalistes et de rédacteurs en chef placée sous la responsabilité hiérarchique de la direction : la rédaction n’a aucun lien hiérarchique avec le groupe Canal+. »

Il nous semble résulter de ces dispositions que le directeur général de la chaîne Monsieur Serge Nedjar ne peut exercer simultanément les fonctions de directeur de la rédaction des journalistes sans porter atteinte à l’indépendance éditoriale de la chaîne, et ce d’autant plus que la relation de dépendance entre Monsieur Serge Nedjar et Monsieur Vincent Bolloré est avérée.

L’indépendance éditoriale de la chaîne ne pourra à notre avis être garantie sans la nomination d’un directeur de la rédaction distinct de son directeur général Monsieur Serge Nedjar et sans lien de dépendance avec Monsieur Vincent Bolloré.

Le fait qu’une collaboration (le projet « News factory »), sans autre précision à ce stade, entre iTELE et la société Matin Plus soit actuellement envisagée (les salariés de Direct Matin étant d’ailleurs sur le point d’emménager dans les mêmes locaux que ceux d’iTELE) suscite aussi des interrogations quant à l’indépendance éditoriale de la chaîne.

 

En deuxième lieu, le programme confié à Monsieur Jean-Marc Morandini nous semble constituer une violation de l’objet même de la convention, défini à l’article 1-1, qui stipule que « la programmation est consacrée à l’information ».

L’article 2-1-1 de la convention précise que « l’éditeur ne peut, sauf autorisation spécifique, utiliser les ressources en fréquences qui lui sont attribuées pour un usage autre que celui prévu dans la présente convention ».

En outre, l’article 2-3-8, intitulé « honnêteté de l’information et des programmes », prévoit expressément que « l’éditeur veille à éviter toute confusion entre information et divertissement ».

Or, il nous semble que l’émission confiée à Monsieur Jean-Marc Morandini sur iTELE relève d’avantage d’un programme de divertissement plutôt que d’une émission d’information.

A cet égard, l’article 2-3-8 de la convention prévoit aussi que « l’éditeur fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information ». Cette exigence ne nous paraît pas être respectée dans le cadre de l’émission de Monsieur Jean-Marc Morandini : à titre d’exemple, dans l’émission « Morandini Live ! » du mardi 18 octobre 2016, Monsieur Jean-Marc Morandini a donné la parole à une jeune femme, Samantha (son nom de famille n’a pas été donné à l’antenne et sa photo n’a pas été diffusée), qu’il a présentée comme « vivant aux Etats-Unis », tandis qu’une indication sur l’écran la présentait comme « correspondante aux Etats-Unis ». La ville dans laquelle cette jeune femme se trouvait n’a pas été citée à l’antenne, au mépris de nos règles professionnelles : il semble que cette jeune femme, qui est en réalité photographe et non journaliste, se trouvait en réalité au Royaume-Uni, à Londres.

En troisième lieu, la rédaction en chef d’une émission ne peut, quel qu’en soit le contenu, être confié à Monsieur Jean-Marc Morandini dès lors que celui-ci n’est pas lié par un contrat de travail avec la société SESI.

En effet, l’article 2-3-9 précité stipule expressément que « l’ensemble des membres de la rédaction du service dispose d’un contrat de travail conclu avec la société titulaire de l’autorisation ».

 

Enfin, nous attirons votre attention sur le fait que nous n’avons aucune information fiable de la direction d’iTELE quant à la mise en place et au fonctionnement du comité d’éthique visé à l’article 2-3-2 de la convention entre le CSA et la société SESI. D’ailleurs, la liste de ses membres ne figure pas en annexe de la convention. Les multiples demandes de la Société des journalistes d’iTELE visant à rencontrer les membres du comité d’éthique sont en outre restées sans réponse de la direction de la chaîne comme de celle du groupe Canal+.

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Or, compte tenu du contexte, la mise en place et la réunion de ce comité nous paraissent indispensables et urgentes.

 

Au regard de ce qui précède, nous vous laissons le soin d’apprécier si une intervention du CSA est nécessaire ainsi que la nature de cette intervention.

Nous vous saurions cependant gré de nous tenir informés des démarches éventuellement entreprises par le CSA à la suite de la réception du présent courrier.

 Dans l’attente, nous demeurons naturellement à votre disposition pour toute précision et pour tout échange ou rencontre à ce sujet.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de notre considération distinguée.

 

Pour la Société des Journalistes d’iTELE, son président Monsieur Antoine Genton

Pour le syndicat + Libres, son délégué syndical Michel Valleix

Pour le syndicat CGT, son délégué syndical Jean-Marc Janeau

Pour le syndicat CFE-CGC, sa déléguée syndicale Claudie Jacquin-Nirascou

Pour le syndicat CFDT, son délégué syndical Serge Trabuc

 

 

[1] Monsieur Jean-Christophe Thiery, président du directoire du groupe Canal +, est quant à lui simultanément président du conseil d’administration de cette même société Matin Plus.

Ils en ont parlé :
Libération : Grève à i-Télé : «Personne ne regardera une chaîne d’info perçue comme à la botte»
20 Minutes : iTélé: La société des journalistes alerte le CSA sur la violation de la convention de la chaîne par la direction
Le MondeNeuvième jour de grève d’affilée à i-Télé
Les jours : Matthieu Pigasse veut racheter i-Télé
RFI : iTélé :  convergence forcée, divergences renforcées
Arrêt sur images : Les salariés d’iTELE font appel au CSA (et aux internautes) pour faire plier Bolloré
France Inter : Crise à iTELE : où en est-on de la grève ?
CB Newsi-Télé : la grève à nouveau votée, le CSA alerté
PuremediasLa SDJ d’iTELE alerte le CSA sur la violation de la convention de la chaîne par sa propre direction
LCILa grève à iTélé est reconduite pour un dixième jour
FreenewsI-Télé : les journalistes font appel au CSA et au gouvernement
24 HeuresLe conflit s’enlise à iTélé, le gouvernement intervient

 

View Comments (3)
  • Bonjour,
    Je pense qu’il faut désormais que les citoyens se positionnent clairement en soutien massif des journalistes d’ITELE en grève. Le despotisme, l’intolérance de Monsieur BOLORÉ, de CANAL+ à ITELE est inacceptable dans un pays de droit. A quand le droit de cuissage, avec le soutien de Monsieur MORANDINI peut-être ?
    ça suffit. Bravo aux journalistes pour leur ténacité et leur courage face à l’arbitraire d’un actionnaire aveuglé !

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