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Débat « Où va la presse? » : compte-rendu.

Débat « Où va la presse? » : compte-rendu.

À l’heure du numérique, le futur des entreprises médiatiques peut avoir quelque chose d’angoissant. Mais “où va la presse ?”, se demande Politis. L’hebdomadaire s’est posé la question dans un hors série disponible dans les kiosques. Le vendredi 10 juillet, le média a invité des acteurs et observateurs de la presse à prolonger le débat à la Gaité Lyrique, à Paris. Des intervenants fins connaisseurs du sujet :

Julia Cagé, économiste, enseignante à Sciences Po Paris et auteure de « Sauver les médias Capitalisme, financement participatif et démocratie »

Denis Sieffert, directeur de Politis

Cyril Petit, journaliste, rédacteur en chef des éditions au JDD, auteur de « La presse sur tablette »

Nicolas Cori, journaliste, Les Jours

Arnaud Mercier, professeur en communication, responsable de l’Observatoire du webjournalisme

Tout est à réinventer : les structures juridiques, les modèles économiques, les formats et l’activité journalistique. Le numérique bouleverse profondément les manières d’exercer le métier. Sur le Web, les informations s’entrechoquent et se succèdent à toute vitesse. La course au buzz séduit même certaines rédactions selon les intervenants présents lors du débat. “Les contenus sont de plus en plus accessibles avec le numérique. En tant que journalistes, notre rôle est de faire une sélection des contenus pour les lecteurs. Il faut traiter mieux et différemment les informations”, estime Cyril Petit, rédacteur en chef des éditions au JDD.

Une singularité qui semble nécessaire pour se démarquer et capter l’attention des internautes. Cela est aussi valable pour Politis. Denis Sieffert, directeur de l’hebdomadaire, n’a eu de cesse de répéter que son média n’a pas vocation à s’inscrire dans une logique de flux, c’est-à-dire d’information en continu. “On souhaite apporter plus et mieux pour être identifiables dans la masse des médias numériques”, précise-t-il.

Le web et “l’émiettement de l’information”

Arnaud Mercier, responsable de l’Observatoire du webjournalisme, explique que le Web a multiplié les canaux de diffusion de l’information : “On observe une démocratisation de la parole publique. Il y a aussi un vrai changement dans la relation entre les internautes et les médias. Par exemple, les réseaux sociaux favorisent un émiettement de l’information. Les internautes se retrouvent ‘par hasard’ sur tel ou tel site d’actualité. Ils finissent par ne même plus savoir quel site ils consultent. Pour appuyer son constat, le professeur en communication rappelle que les internautes se désintéressent des pages d’accueil des sites web. Pour lui, “les médias sont paresseux et ne réfléchissent pas assez aux moyens de donner envie aux lecteurs d’aller voir la ‘home’” et donc les autres contenus journalistiques produits par le média en question.

Le renouveau de l’offre éditoriale

Tout l’enjeu est d’attirer et de fidéliser une audience volatile selon les participants au débat. Plusieurs projets et entreprises médiatiques voient le jour pour répondre à ce défi. Justement, parmi elles, on retrouve Les Jours. Le média prépare son lancement. Nicolas Cori, cofondateur du pure-player, souhaite se démarquer du flux pour traiter dans la longueur certains sujets. On veut agripper des sujets qui nous semblent importants, qu’on appelle des ‘obsessions’. Je suis persuadé qu’on peut lire des articles longs sur les supports numériques, indique cet ancien journaliste à Libération.

Car l’offre éditoriale sur le Web ne se cantonne pas qu’aux dépêches, loin de là. Celle-ci tend à se diversifier et à se spécialiser. “En ligne, il y a de la place pour les médias qui sont dans une logique de spécialisation. Il existe aussi la possibilité de lire des articles longs sur le Web. Les lecteurs du média brésilien O Globo passent en moyenne 1H15 sur la version tablette. Ce n’est pas un combat perdu d’avance”, rassure Arnaud Mercier. Pour aider le lecteur à mieux maîtriser sa consommation d’articles, le chercheur propose qu’une estimation du temps de lecture soit affichée au début des articles.

S’adapter aux usages

L’idée avancée par Arnaud Mercier fait directement écho à la nécessité de s’adapter aux habitudes des lecteurs et notamment au temps qu’ils ont pour lire des contenus journalistiques. C’est ce qu’a rappelé Cyril Petit, à l’aide d’un diaporama avec des “petits chats qui bougent”. Les supports numériques ont chacun leur temps dans la journée. “Les usages du matin sont sur smartphone. Avec La Matinale, Le Monde est devenu un journal du matin pour la première fois de son histoire et s’est adapté aux habitudes des lecteurs. De son côté, la tablette est la reine de la nuit. On l’utilise surtout quand on est au lit”, explique Cyril Petit.

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La-Presse+-iPad

Le journaliste prend ainsi l’exemple de La Presse+, “l’expérience que tous les éditeurs français regardent”. Le média québécois a fait le choix radical de tout miser sur le numérique en proposant une édition pensée pour la tablette. Une transformation en profondeur permise par un budget de 32 millions de dollars (lire à ce sujet le billet de Jean-Sébastien BARBEAU) S’adapter aux usages mais aussi aux supports. C’est ce qu’à fait Bild avec son journal vertical, une application pensée pour les smartphones.

Et l’indépendance dans tout ça ?

La question des ressources économiques était aussi un point central du débat. C’est le nerf de la guerre pour les médias qui assurent leur transition numérique ou ceux qui se lancent avec des projets novateurs. L’économiste Julia Cagé était présente pour évoquer ce point et défendre son idée d’une “société de média à but non lucratif”. Pour faire face à la baisse des revenus publicitaires, les médias doivent trouver de nouvelles sources de revenus. Tout en garantissant leur indépendance éditoriale. L’enseignante s’inquiète notamment de l’arrivée de milliardaires à la tête d’entreprises médiatiques qui n’investissent pas autant que nécessaire. Elle souhaite contenir leur influence “en limitant leur droit de vote”.

De son côté, le modèle des Jours se base sur trois piliers, indique Nicola Cori : les fondateurs qui détiennent plus de 50% du capital, le crowdfunding et “on va aussi aller voir les gens qui ont beaucoup d’argent mais sans qu’ils aient le contrôle”. Un nouveau média bientôt en ligne… comme tant d’autres. On peut citer Le Quatre Heures (qui vient de remporter le concours des Têtes Chercheuses ce jeudi), Ijsberg, Mars actu, les Rue89 locaux, etc. On peut être inquiet pour la presse mais on fait face aussi à un chaos créatif. Le coût d’accès à la création de nouveaux médias est faible, indique Arnaud Mercier, en guise de conclusion. Comme quoi, il y a de quoi être optimiste.

 

Florian DELAFOI
@FlorianDel
Blog

View Comments (2)
  • En lisant cet article j’ai l’impression qu’il y a une confusion sur la nature de la rupture du paradigme de la circulation de l’information. Je me trompe peut-être mais pour moi le changement de support est secondaire en quelques sortes. Il ne s’agit pas de savoir fidéliser le client dans un contexte de diversité, de faire basculer le consommateur vers la home d’un site autiste qui prétendrait apporter la totalité de l’information. Le modèle de la captation n’est pas si formidable que ça et l’usager attentif ne s’y trompe justement pas. A la base du web se trouve l’hyperlien qui apporte une dimension supplémentaire à l’écriture, qui permet de croiser l’information et créer des nœuds de signification à l’intérieur d’un réseau. Certes il n’est pas nécessaire de produire un flux constant parce que le consommateur, de client devenu usager, baigne de toutes façons dans un flux qui dépasse n’importe quel producteur.
    L’enjeu est donc de tirer son épingle du jeu dans le cadre de la fragmentation de la production, d’une signification basée sur une recomposition par l’usager versatile. Dans le meilleur des cas on arriverait même à une sorte d’uberisation de la presse où le consommateur reviendrait de sa navigation à travers l’inter-web, favorisée par les hyperlinks de l’article initial, pour apporter une nouvelle richesse au contenu.
    Il faut transformer cette contingence de la perte de la captation, du dépassement du produit et de l’industrie, en bénéfice… On cherche régulièrement le concept contraire à celui de sérendipité alors qu’il est connu, c’est l’industrie.

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