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La finalité des entreprises d’information n’est pas d’informer

La finalité des entreprises d’information n’est pas d’informer

«Ce que je sais : aujourd’hui, à LEXPRESS.fr, nous ne payons pas les blogueurs. Par souci de bonne gestion, mais aussi par principe.» Sentence déjà culte d’E. Mettout rédacteur en chef de l’express.fr

… mais tout est politique, même l’éventuelle rémunération du blogueur. La gauche a tout à voir avec la rémunération. Qu’elle soit de blogueurs ou autre. D’ailleurs la droite aussi. Car il s’agit d’une question éminemment politique. Celle du partage de la valeur, de la circulation des idées et de l’exploitation (attention gros mots) dont on en fait. E. Mettout a le mérite dans son billet d’incarner la figure la plus caricaturale, même s’il feint de ne pas avoir de «réponses toutes faites», concernant la production de « richesses » issues de la médiasphère. D’ailleurs dans une note du 22 décembre, le blog «Quebec Solidaire» d’abord disposé à ouvrir les vannes du gratuit, se ravise en commentant : «  Après avoir mieux saisi la nature complexe des problèmes que suscitent ces nouvelles plateformes de communication de masse, nous avons donc décidé de nous abstenir de toute collaboration directe avec le HP (Huffington Post)». Complexe en effet.

E. Mettout touche juste sur plusieurs points néanmoins. Il n’est pas si évident de considérer la production d’un articulet de blog comme un travail. Il note judicieusement que l’accord « affichage contre gratuité » se fait de plein gré. Le blogueur étant comme il le dit, majeur et vacciné. Nous y reviendrons.

Là où les choses se corsent, c’est quand il évoque le fonctionnement des médias et les relations entre producteurs de contenus et exploiteurs de contenus, « c’est le système : ils négocient». Un peu comme quand L. Parisot se dégrise sur la précarité. Ou quand P. Kosciusko-Morizet fait mine sur une radio publique le 26 décembre au matin, de ne pas saisir le lien entre l’économie, le marketing et la consommation de masse et la Politique.

La Politique en somme ne serait qu’un thème traité dans les médias (comme L’Express), mais totalement étranger à ceux-ci dans leur fonctionnement interne. Une sorte d’hygiène, résumé par l’adage d’entreprise « on ne fait pas de politique ». Pourtant on ne fait que ça. Outre le traitement de l’info, en référer à l’immuable système, comme M. Thatcher en référait au marché, ou M. Dassault aux idées saines, est en l’espèce, de la politique. Enormément de politique. Foutrement de la politique.

Et il est aisé de produire quelques figures, A. Sinclair ou M. Pigasse, comme incarnations essentielles de l’idée de gauche pour se dédouaner de ses valeurs. Ils sont avant tout des entrepreneurs que le landerneau classe à gauche, parce qu’il en faut bien. Et qui perpétuent les rapports de domination, et de subordination au sein de structures qu’ils dirigent. Comme des entrepreneurs… de droite.

En l’occurrence E. Mettout aussi. Il omet la puissance symbolique dans cet univers de signes. Il fait mine de ne pas entrevoir les rapports de domination qui existent entre un hebdomadaire qui a pignon sur rue et qui tire à des centaines de milliers d’exemplaires, et un anonyme à qui il promet une fugace exposition. Il ignore l’asymétrie de pouvoir entre la structure et l’individu. Il fait mine de ne pas connaître l’irrésistible attraction qu’engendrent les médias. De ce fort contraste, il tire un rapport de force totalement inégal qui lui permet, sous prétexte de consentement (majeur et vacciné), d’exploiter un contenu, en toute gratuité.

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On en oublie presque la finalité des entreprises d’information, qui n’est pas d’informer, mais de générer assez d’activité avec de la substance rédactionnelle pour être rentable. Et dans ce contexte, le rédacteur en chef de lexpress.fr compte garnir les pages de son espace commercial avec des articles négociés gratuitement. Jouxtant d’ailleurs ses propres productions journalistiques, elles, rémunérées. La question n’est pas d’opposer journalistes et blogueurs, ce fameux « principe » dans l’article publié sur l’Observatoire des médias. Car si on comparait les articles de Maitre Eolas avec ceux d’E. Mettout, ou les dentelles de SebMusset avec les aigreurs d’I. Rioufol on finirait par être surpris de ce que l’on appelle « valeur ».

Il faut considérer non pas le statut, mais le contenu produit. En l’occurrence, ne pas rémunérer le blogueur (comme travailleur), mais valoriser sa production insérée dans un espace profitable. Afin que chacun assume sa position, les uns produisant, les autres les publiant. Et sortir des caricatures lénifiantes du « regard décalé », coquetterie médiatique insupportable…

Mais tout ceci est de la Politique. Et un peu gauchisante. Comme mettre en exergue les rapports de domination, la logique de soumission. Faire de la Politique comme le fait aussi E. Mettout, c’est stériliser ces antagonismes et s’en remettre au gré à gré dans un style très libéral. L’entreprise contre l’homme. En souhaitant que jamais ces écrivaillons en trop plein d’idées et en manque de reconnaissance ne s’entendent pour jouer collectif…

VogelsongVogelsong
son blog : http://piratages.wordpress.com/

View Comments (12)
  • Bon billet.Par contre tu oublies que dans le marchand tu vas avoir du blogueur rémunéré et de l’autre non. Exemple les chroniqueurs blogueurs auparavant rémunérés par Le Post…ou quand Serraf entendait être payé par rue 89 et du coup est rémunéré par Atlantico.

    • D’ailleurs, je trouve fascinant qu’à chaque fois qu’on évoque ce sujet, cet exemple revienne. Il n’y a pas de blogueur type, mais s’il y  avait un blogueur qui ne correspond pas au commun de ceux-ci, c’est bien lui. D’ailleurs si la ligne jaune de Guy Birenbaum sur ce sujet n’a pas eu le retentissement espéré c’est je crois, parce que les blogueurs (dont Serraf) qui étaient invités ne représentaient (même de très loin) aucun des producteurs du web.
      Je crois qu’il faut sortir des exemples faciles (et redondants) et des têtes de gondoles.
      On avancera peut-être dans le débat.

    • Oui mais l’origine il est la parce que blogueur.Et tu as quelques cas d’expérience de blogueurs rémunérés sur des sites (Le Post qui a arrêté cela, Le Lab d’Europe 1 etc…) comment les situer?

      • C’est un peu, je crois, comme au sein des rédactions, ou ailleurs, on donne des titres, pour coller à une grille, à une rémunération, ou alors pour ne pas se faire ‘taxer’ de blogueur… 

        A propos du Post.fr, il arrête non seulement de payer les ‘blogueurs invités mais s’arrête aussi tout court.

  • Selon le désormais célèbre « théorème de Mettout », le blogueur serait un amateur au prétexte qu’il fournirait moins de « travail » qu’un chroniqueur ou un journaliste.

    Admettons (ou Admettout. Je suis pour la liberté d’expression du calembour non rémunéré). Voyons-le alors comme un auteur, personne ne pourra le nier. Bien, considérons maintenant que la plupart des hits musicaux qui génèrent des tonnes de thunes depuis des décennies (généralement pour des gens qui nous menacent de prison ferme si nous les téléchargeons sans payer) ont parfois été composés en 30 sec chrono sur un coin de nappe, sans forcer, sans y penser. Voilà qui relativise la notion de travail e@KeithRichards:twitter  de gain.

    Admettons également les blogueurs sont des crétins incultes (de gauche donc) au sujet desquels le lecteur rigole bien (en patientant entre deux chroniques sérieuses de Barbier) à cause de leur regard kilédécalé. Un peu comme des cobayes de télé-réalité quoi. Bon, et bien comme nous le rappelle Martin P. (qui twitte peu mais twitte bien) nos « benêts » (enfin c’est comme cela que la TV choisit de nous les montrer via un montage ad-hoc), exploités durant des années, se sont retournés en justice contre lémédia. Et ils ont gagné. Ce sont désormais légalement des comédiens qui contribuent à l’identité des programmes en question et sont désormais payés en tant que tels. 

    En conclusion, l’union fait la force. Dire non à titre perso à cette mascarade (dans laquelle la seule chose garantie pour le blogueur est de finir cocu) est la première étape. Pour moi, ce n’est pas très compliqué : je ne paye pas mes nouilles, mon « Express » et mon loyer avec de la « visibilité ».

    Et oui, cette question est à évidemment politique puisqu’il y est question de puissants et de soumis, et de ce lien tabou reliant la production des uns aux gains des autres.

     

  • Et il y en a qui s’étonnent que la presse coule, alors que Le Figaro n’a même pas l’idée de remplacer Rioufol par Seb Musset et l’Express Barbier par Vogelsong!

  • Moi, j’en reviens toujours au même point. Ce débat montre la difficulté qui réside dans la définition du journalisme.  Le problème, c’est pas les blogueurs, c’est l’incapacité du journalisme à se définir clairement et à se réinventer sur des supports numériques. Si bien que Seb Musset a raison, on reproduit des logiques d’exploitation et de domination avec des investisseurs qui veulent un retour sur investissement soit économique, soit politique. Or, il y a tant à faire en imaginant de nouvelles publications, de nouvelles formes éditoriales avec divers types de journalisme et de publiants. Il me parait assez logique d’envisager des participations aux résultats pour ceux qui alimentent le projet. Et il faut clairement poser la question en effet, pourquoi des organismes de presse proches de la gauche s’avèrent incapables de les imaginer ?
    Sinon, il faut quand même considérer que la plupart des éditorialistes ne sont actuellement pas au niveau des blogueurs et pourtant ils sont payés.

    Une conclusion peut-être : il faut certainement imaginer et concevoir d’autres dispositifs éditoriaux collectifs qui mêlent divers publiants avec de nouveaux modèles économiques. Il semble qu’il ne faille pas attendre les médias classiques et les investisseurs habituels pour le faire. Cela suppose de l’innovation mais aussi le choix d’une ligne éditoriale assumée et donc politique.

    • « Sinon, il faut quand même considérer que la plupart des éditorialistes
      ne sont actuellement pas au niveau des blogueurs et pourtant ils sont
      payés, » dit Olivier. Certes et c’est même une règle commune à toutes les filières de la (diffusion de la) création et de l’innovation : quand un créateur n’est pas DÉJÀ intégré dans réseaux financiers, sa création n’est pas prise en compte par son écosystème.

      Ce qui est nouveau avec les blogs et autres moyens de diffusion propres au web, c’est que, même non prise en compte par l’écosystème, la création s’expose plus largement, devient accessible à qui veut/peut y accéder. Et ce, sans que cela donne plus de poids économique à ladite création.

      On avait l’économie marchande, l’économie dite sociale et l’économie souterraine (le travail au noir) – trépied classique. On a maintenant, en plus, l’économie de libre exposition qui non seulement ne parvient pas à s’arrimer clairement au système économique global mais risque bien un jour prochain de déstabiliser ledit système : un trépied ne peut être bancal, ce qui n’est pas le cas d’un siège à quatre pieds ;-)

  • Vogelsong, ton post est formidable. Bon, je n’ai pas tout compris – je maîtrise mal la biochimie politique et son jargon, je suis un pauvre journaliste dont les compétences n’égalent en rien, et n’y prétendent pas, celles des meilleurs blogueurs que tu cites (quoique, les « dentelles » de Musset…) et me contente de piloter une rédaction et un site Internet, de faire en sorte que ceux qui y collaborent, contre rémunération ou gracieusement, s’y épanouissent, que ceux qui le consultent y trouvent un contenu digne de la marque qu’on m’a confiée et de ceux qui l’ont bâtie, que l’information que je sers n’y soit pas trop maltraitée, et que tout ça ne conduise pas, in fine, le groupe qui me paye à jeter ma modeste entreprise aux ordures parce qu’elle y perd sa chemise. Je n’ai pas tout compris à ton billet, donc. Ce qui me rassure, c’est que tu n’as pas plus compris le mien. Bonnes fêtes à toi.

  • J’ai du mal à saisir l’argumentaire d’Eric Mettout : en gros, il défend son beefteck. Point barre. Les blogueurs apprécieront la place qui leur est réservée.

    Et puis cette manière de surjouer le modeste à l’envie, voir « l’imbécile qui marche », pour signifier son évidente supériorité rend la lecture du commentaire assez désagréable.

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