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Qu’est-ce que « la gauche » a à voir avec la rémunération des blogueurs?

Qu’est-ce que « la gauche » a à voir avec la rémunération des blogueurs?

C’est une bonne question – à peu près posée ici-même par Anthony Rivat: sur les sites d’info, les blogueurs doivent-ils être considérés comme des « employés » comme les autres – et rémunérés en conséquence? Ou sont-ils de purs esprits nourris d’affection et de reconnaissance – ce qui, certes, arrange bien leurs hôtes, confrontés aux rigueurs de l’hiver budgétaire, mais eux aussi, souvent, qui gagnent en liberté de ton ce qu’ils perdent en confort matériel?

Très honnêtement, je n’ai pas de réponse toute faite – voire pas de réponse du tout. Ce que je sais: aujourd’hui, à LEXPRESS.fr, nous ne payons pas les blogueurs. Par souci de bonne gestion, mais aussi par principe. Nous leur offrons une tribune, de la visibilité, ils nous apportent leur expertise, posent un regard décalé sur notre fond de commerce, l’actualité, bref nous alimentent et nous différencient. Valeur contre valeur, l’échange est égal – et s’il ne l’était pas, me dis-je, les blogueurs nous fuiraient.

Le sujet divise les médias en ligne – qui ne partagent pas tous mon avis, il ne manquerait plus que ça. D’autres que nous payent tout ou partie de leurs blogueurs – des sommes qu’on dira « raisonnables », faut-il le préciser. Parce qu’ils n’ont pas envie de les voir filer à la concurrence, parce qu’ils estiment qu’ils leur rapportent suffisamment (en audience, en image, en opportunités publicitaires) pour justifier les sommes engagées. Il n’est d’ailleurs pas dit qu’un jour ou l’autre, confronté à la même équation, je ne sois pas amené, au moins ponctuellement, à m’asseoir sur mon principe.

Le débat divise aussi la blogosphère, depuis plus longtemps même que les médias en ligne. Je me souviens qu’on en parlait déjà il y a plus de deux ans, quand nous avions lancé avec les blogueurs l’opération 3001 et que certains avaient accusé L’Express de se constituer ainsi un cheptel à pas cher. Il a rebondi il y a quelques mois, à l’occasion de la vente à bon prix du Huffington Post à AOL, quand ses contributeurs gratuits se sont rendus compte que leur patronne venait de s’en mettre plein les poches sur leur dos – ce n’est pas aussi simple que ça, mais peu importe, l’argument se tient. Il a touché la France plus récemment, quand Anne Sinclair, qui chaperonne la version française du HuffPo, a appelé les « experts » a rallier gracieusement sa nouvelle bannière, ce qui a notamment provoqué la chronique dont je fais état dans ma première phrase – et conséquemment la présente réaction.

Pourquoi? Parce qu’il me semble qu’Anthony Rivat pose le problème à l’envers en faisant porter la responsabilité de la situation sur les cochons de payeurs potentiels. Les blogueurs sont assez grands pour faire leurs calculs et décider en toute connaissance de cause si le jeu (encore une fois, s’exprimer, faire connaître leur opinion au public, SE faire connaître) en vaut la chandelle. Ou non. Auquel cas, ils sont aussi assez grands pour négocier (ça arrive, je le sais), monter leur petite entreprise, voire sauter le pas et devenir… journalistes (ça arrive aussi).

Je comprends parfaitement la réaction des blogueurs du Huffington Post, qui ont découvert a posteriori que les termes du contrat avaient changé sans qu’on prenne la peine de les en avertir. Je comprends moins la réaction des blogueurs de sa version française, qui savent désormais parfaitement à quoi s’en tenir – et Anne Sinclair ne leur a rien caché. Si ça ne leur plaît pas, ils n’ont qu’à pas y aller.

 

PS qui a tout à voir: un petit mot aux journalistes qui s’inquiètent de leur hypothétique remplacement par la main d’oeuvre bon marché ainsi créée, pour leur rappeler qu’un journaliste est un journaliste, un blogueur un blogueur, et que le second n’a pas vocation à se substituer au premier, mais à le compléter.

P.S sous forme de réponse à Gilles Bruno, qui profite éhontément de son invitation pour me poser les questions suivantes:

Vos confrères du Plus (Nouvel Observateur) paient certains blogueurs. Pas tous. Que pensez-vous de cette pratique?

Rien. Chacun fait ce qu’il veut chez lui. J’imagine qu’ils ont de bonnes raisons pour ça.

Rue89 allant s’intégrer dans la galaxie du Nouvel Obs, à votre avis, cela va-t-il mettre en ‘péril’ le Plus?

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Pas du tout! Le Plus a autant à voir avec Rue 89 que le polo avec le foot. Ce sont deux concepts d’info en ligne très différents, ils se complètent bien plus qu’ils ne se concurrencent. Cela dit, si j’en crois les déclarations des uns et des autres, la prise de participation de L’Obs dans Rue 89 est strictement capitalistique. La question ne se pose donc même pas.

Du coup, les audiences cumulées vont changer, les rapports de force aussi. Pouvons-nous avoir une idée de comment va s’organiser votre ‘riposte’ ?

Les audiences cumulées? Quelles audiences cumulées? Je ne sache pas que l’équipe de Rue 89 ait l’intention d’être avalée par l’Obs. Et si la situation changeait, nous aviserions. Pour le moment, ce n’est pas le cas.

 

Photo de Une par Razak, (RichardTrois sur Flickr)

View Comments (21)
  • Bon, pour revenir à des épisodes précédents, il parait qu’Emery, avant de se faire jeter de l’Express, était remunéré pour ses posts.

    Donc, cher Éric, ces **principes de bonne gestion** sont-ils très récents ?

  • « Valeur contre valeur, l’échange est égal – et s’il ne l’était pas, me dis-je, les blogueurs nous fuiraient. »

    Avec le même raisonnement on justifie le travail des enfants…

  • Eh oui, pour reprendre ce que demande Thaliane: quelle différence entre un journaliste pigiste et un blogueur ?
    Bien sûr, tout le monde peut décider en conscience…, mais bon: cela casse quand-même un marché de travailler pour la gloire, non ? Voilà bien de nouveaux problèmes apparus avec les nouvelles technologies, pareil dans plein d’autres domaines.Mais, comment dire ?, ce qui est gratuit n’a pas beaucoup de valeur (euphémisme), est donc facilement jetable, remplaçable par d’autres bonnes poires voulant bien se faire exploiter

    • En complément du commentaire ci-dessus, le mien :

      C’est la dévalorisation du travail intellectuel et de la production créative (un phénomène général, en texte, images, stylisme, musique, ce que vous voulez) qui est validée ici dans cet article exaspérant. C’est le principe du stagiaire pro à 400€ par mois (quand il est payé) qui est dupliqué ici. Le billet ci-dessus est insupportable. C’est le billet de quelqu’un qui est du côté des tuyaux (comme en musique par ex, ou un musicien chez Deezer va toucher 10€ toutes les 100 000 écoutes, genre). Cette logique existe dans l’édition (où on prend 2 ans des stagiaires sans rémunération, où 80% des annonces d’emplois recherchent des stagiaires), dans la recherche, à la fac. C’est de la merde.J’étais journaliste, écrivain. Il y a dix ans on me téléphonait de l’étranger et on me payait cher pour que j’écrive des chroniques humoristiques dans la presse papier. Je gagnais très bien ma vie ainsi. J’étais payé pour un truc que les autres ne savaient pas faire, comme un plombier, un artisan. C’était mon métier, mon savoir-faire, mon expertise. J’ai participé de l’essor du Net à Libé Multimédia, avec enthousiasme, j’ai été enthousiaste aussi plus tard à l’apparition de Rue89 et j’ai même demandé à y bloguer gratos avant de rétropédaler en comprenant et constatant la perversité du système : 10 000 lecteurs ou plus parfois pour un billet sur Rue89, et je traçais les gens qui venaient sur mon propre site (aucun) et les ventes de mes romans sortant aux mêmes périodes grâce aux stats d’un éditeur (que dalle). Le gain en notoriété est de la foutaise, c’est une arnaque. Les gens sont infidèles sur le Net, vous disparaissez, ils lisent un autre blogueur gratuit. J’ai aussi arrêté mes chronique sur Bibliobs pour les mêmes raisons. Un crétin du milieu me dit : « tu es aigri, le monde a changé ». Il est salarié dans une structure et il se la pète alors qu’il n’a aucun talent. Certes, le monde change et tant mieux ; je le veux aussi et je souhaite que ce qu’a posé une génération ne tarde plus à enfin disparaître avec elle. Mais je ne suis pas aigri ; je me suis reconverti : je constate que ces débats oiseux et ces explications tordues (assez condescendantes) pour ne pas payer les gens, pour ne pas avoir à culpabiliser, c’est 1- Se masquer un système d’exploitation et de dévalorisation de la valeur du travail, de la création, sur lequel avant on fonctionnait. Pourquoi plus maintenant ? Reproduire ce discours mi-figue mi-raison car on a le cul merdeux c’est valider la dégringolade, y collaborer 2- C’est se préoccuper de sa propre survie. Enlevez les blogueurs du Huff ou de Rue89 et il n’y a plus grand chose. Et je souhaite longue vie à Rue89 où j’y ai d’anciens confrères et amis.Je suis viscéralement pour le paiement des gens qui bloguent dès lors qu’ils sont jugés intéressants et validés par la rédaction. Avant on payait les gens, on les a toujours payés : pourquoi sur le Net ne les paierait-on pas ? je me fous des arguments sur le « modèle économique » : si on ne peut pas, on ne fait pas. Le non-paiement des blogueurs est un des aspects révélateurs de ce qui se passe à un niveau plus large dans le monde du travail, dans d’autres professions intellectuelles et créatives. J’incite les blogueurs à boycotter les sites qui vivent de leur travail. A aller s’exprimer sur leur propre site, à alimenter s’ils sont graphomanes les sites de débats, mais à refuser d’alimenter un système qui est chaque jour en train, de façon plus large d’affamer tout le monde.J’enseigne le journalisme web dans une fac, en licence et master : les étudiants mettent des mois à trouver un stage car plus de 3 mois on ne veut pas les prendre pour ne pas avoir à les payer 400€ (400€ euros SEULEMENT) / mois. La non-rémunération des blogueurs participe du même système d’exploitation. En la refusant, on refuse aussi tout ce paradigme des stages, toute cette merde de la précarité des intellectuels. J’insiste auprès des étudiants pour qu’ils n’acceptent jamais de travailler gratuitement. Enfin, je cite : »Je comprends parfaitement la réaction des blogueurs du Huffington Post, qui ont découvert a posteriori que les termes du contrat avaient changé sans qu’on prenne la peine de les en avertir. Je comprends moins la réaction des blogueurs de sa version française, qui savent désormais parfaitement à quoi s’en tenir – et Anne Sinclair ne leur a rien caché. Si ça ne leur plaît pas, ils n’ont qu’à pas y aller. »

      >>> J’incite en en effet à ne pas y aller. Cette femme multimilliardaire ne peut pas payer un article ? De qui se moque-t-on ?
       
      « PS qui a tout à voir: un petit mot aux journalistes qui s’inquiètent de leur hypothétique remplacement par la main d’oeuvre bon marché ainsi créée, pour leur rappeler qu’un journaliste est un journaliste, un blogueur un blogueur, et que le second n’a pas vocation à se substituer au premier, mais à le compléter. »

      >>>> A compléter ? A compléter ? Cette autosuffisance est ce qui vient de me mettre en rogne. Il ne s’agirait pas d’être complété mais d’être pro, créatif, de se remuer le cul. Et on n’aura pas besoin d’être complétable. La profession de journaliste mute, évolue (le monde change et tant mieux), le statut du journaliste aussi, il doit regagner sa place, se redéfinir. Il y a déjà nombre de pistes et de débouchés, d’évolutions qui se dessinnent. Ce n’est pas en acceptant le non-paiement des autres qu’on survit, qu’on se remet en cause. Et si c’était le journaliste qui complétait le blogueur ? Il fait quoi le journaliste, dans un monde d’info issue de partout pour justifier son existence. C’est à ça qu’il doit s’attacher. Le reste, c’est bullshit. 
      Francis Mizio 

      • Un statut du blogueur comparable à celui du correspondant de presse en PQR ne permettrait-il pas de clarifier les choses ? Travail produit et reconnu, indemnisé mais pas salarié, et sans lien de subordination.

  • « Tout travail mérite salaire » . 
    Bizarre que tant de gens ne comprennent pas ça …

    Les patrons qui s’ils le pouvaient ne verseraient aucun salaire à leurs employés et exigeraient même que ceux-ci les remercie d’avoir la bonté de les employer …

  • Une petite réflexion en passant.
    Si les journalistes faisaient plus souvent correctement leur travail de journaliste, qui consiste à analyser, et surtout vérifier les informations qu’ils diffusent et ce en toute indépendance (pour rappel aux journalistes qui ont oublié jusqu’au sens de ce mot, indépendance, cça veut dire qu’on n’a pas forcément la même opinion que son patron, et qu’on défend ses idées, même devant lui, plutôt que de lui servir la soupe), peut-être passeraient-ils moins pour des amateurs comparés à certains blogueurs amateurs, qui eux, font un excellent travail journalistique.

  • la visibilité d’un blog sur un site de presse en ligne, c’est un peu de la foutaise, quand y en a des centaines. C’est le blogueur qui assure cette visibilité en faisant jouer surtout les réseaux sociaux (donnant par l’occasion une visibilité aussi à son  hébergeur).

      • pas si simple. j’ai un blog théâtre, donc une petite niche (toute petite, même) sur blogger. Je fais cross posting sur mediapart, quand MP le met en une j’ai commentaires etc. Sinon, que dalle de que dalle!
        En revanche, sur FB, ça fonctionne….et sur twitter aussi

  • la télé aussi a eu besoin de rafraichir ses programmes, de fiction notamment, en introduisant la téléréalité. la télé aussi a toujours trouvé des participants (qui pouvaient très bien ne pas participer). la télé aussi a estimé que leur rémunération c’était leur notoriété.

    et la télé a estimé que le participant n’était pas un comédien, comme la presse online considère que le blogueur n’est pas un « vrai » chroniqueur.

    il serait intéressant de soumettre le cas aux prud’hommes…

    @MartinP_:disqus 

  • Monsieur Mettout, j’imagine que vous ne payez pas non plus vos modérateurs. En tous cas, cela expliquerait bien des choses anormales sur le site de l’Express.

  • L’Express ne paie pas ses blogueurs selon cet article. Je suis pourtant tombé sur un dossier « gastronomie lyonnaise » fait par une blogueuse. Vous ne l’avez donc pas rémunéré. Et bien.

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